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Page:Leneru - Le Cas de Miss Helen Keller.pdf/6

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bien que la mélancolie soit délibérément absente de cette autobiographie, miss Keller remarque : « Chose qui ne m’était pas encore arrivée, je m’endormis impatiente du lendemain. »

Bien qu’Helen ne semble pas avoir eu, comme nos sourds-muets des établissements religieux, la grande épreuve du catéchisme à traverser, pour l’enseignement des mots abstraits, il fallut d’heureuses trouvailles. C’est un jour qu’elle enfilait des perles — deux grosses, trois petites — et réfléchissait au moyen de réparer une faute, que miss Sullivan mit un doigt sur son front et lui dit : « Pensez. » La traduction de « j’aime Helen » fut diabolique. Le professeur avait beau indiquer le cœur et dire : « Cela se passe ici », la théorie viscérienne de l’affection restait incompréhensible pour l’élève. Cela ne se touchait pas et comme elles avaient des violettes et qu’il faisait chaud, Helen demandait si c’était le soleil ou l’odeur. C’est en lui expliquant ce qu’elle éprouvait pour le jeu qu’on fit pénétrer cette petite sauvage dans le domaine du sentiment.

La méthode était naturellement de soumettre l’élève au plus grand nombre d’expériences possibles. Il fallait toucher à tout, comme elle en recevra l’autorisation à Chicago du président de l’Exposition. Miss Keller est montée sur des échelles pour toucher les statues, elle a tenu toutes les fleurs dans ses mains, caressé toutes les bêtes, sans excepter les fauves des ménageries, elle a pu toucher les costumes et les visages d’Irving et d’Helen Terry après une représentation. Jefferson est venu jouer pour elle dans un salon ; la jeune fille mimait d’après les retouches de l’acteur. Miss Keller lit le français, l’allemand, le latin, le grec ; elle a composé en algèbre et en toutes ces langues avec sa machine à écrire ; elle a étudié la géométrie au moyen d’un dispositif ingénieux de fils de fer sur un coussin, car elle est entrée à Radcliffe Collège après des examens pour lesquels ses livres gaufrés arrivaient toujours trop tard et quand, pour l’algèbre, elle avait à se débattre entre les différents Brailles dont il fallait encore se faire envoyer la clef. Mais ce qu’elle était la seule à vouloir faire, ce dont tout le monde la décourageait, et qui prouva par la suite avoir été le plus précieux, elle apprit « à parler avec sa bouche » en lisant au toucher sur les lèvres et la gorge du professeur. Le résultat fut sans doute ce qu’il est pour les sourds-muets, mais il s’agissait bien de se faire comprendre ! Sans le savoir, elle