Page:Lenotre - Robespierre et la « Mère de Dieu », 1926.djvu/226

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voient journellement et de près, son prestige factice s’émiette depuis longtemps déjà. Lui-même est trop bilieux, trop attentif, pour ne pas s’en rendre compte : il peut supputer le nombre d’ennemis qu’il a dans la Convention par le succès de l’insolent rapport de Vadier sur la Mère de Dieu : ils se sont là démasqués en masse. Au Comité de salut public, c’est pis encore : si l’on excepte Saint-Just, la plupart du temps éloigné de Paris, et l’infirme Couthon, qui ne vient jamais aux séances du soir, Robespierre n’a pour lui personne : il est méprisé de Carnot qui le juge « ridicule » et le tient à distance ; Billaud-Varenne, « orateur puissant », Collot d’Herbois, cabotin plein d’emphase, flairent en lui un dictateur et sa prudence de chat redoute leurs brutalités. Il jalouse Barère, trop séduisant, trop fin, trop madré, trop « bon enfant », qui le flatte et le trompe. Le laborieux Prieur, l’honnête Lindet le dédaignent et les délibérations sont venimeuses entre ces six hommes qui se surveillent, se guettent, s’invectivent et, pour un rien, se menacent de l’échafaud[1]. Un jour, la discussion a été si vive que Robespierre, épuisé, s’est évanoui[2] ; et, le 23 prairial, sur une virulente sortie de Billaud qui reproche à Robespierre d’avoir pris l’initiative de la terrible loi du 22 sans la soumettre, suivant l’usage, au Comité, les cris échangés sont tels que les promeneurs

  1. À l’une des séances du Comité, au début de floréal, Saint-Just, « le morveux », – c’est Carnot qui le désignait ainsi, – dit à celui-ci au cours d’une discussion : – « Je n’ai qu’un acte d’accusation à écrire pour te faire guillotiner dans deux jours. – Je t’y invite, riposte Carnot. Je ne te crains pas ; vous êtes des dictateurs ridicules. » Réponse des membres des deux Comités…, 303 à 305.
  2. Mémoires sur Carnot, I, 536, 537.