Page:Lenotre - Robespierre et la « Mère de Dieu », 1926.djvu/55

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tout compromettre [1] ». Les belles dames étouffent leurs bâillements, regrettent d’être venues et n’osent quitter la place à cause de la présence du Roi. Beaucoup pensent à l’heure du dîner, passée depuis longtemps, sans que rien permette de prévoir quand finira l’interminable lecture.

Perdu là-bas au fond de la salle, dans la foule compacte des gens du Tiers, le petit avocat d’Arras, absorbé dans ses préventions chicanières, suit, de ses yeux de myope, les péripéties de cette cérémonie où la monarchie apparaît comme une institution inébranlable, dans l’appareil grandiose de ses traditions séculaires et « toute la pompe d’une cour idolâtre ». Jamais il n’a dû se sentir si infime, si désarmé, si impuissant, si humble. Comment espérer, – pauvre provincial inconnu, sans relations et sans crédit, avec son vieil habit reteint et sa mine chétive, – comment espérer une place, si modeste soit-elle, dans ce congrès d’hommes éminents par le rang, les titres, la fortune ou le talent ?

Il se rua témérairement à cette tâche paradoxale ; encore qu’il ignorât tout de la stratégie parlementaire, il se forçait à parler, – pour parler, – afin de s’aguerrir, car, de son aveu, « il tremblait toujours en approchant de la tribune[2] », et « ne se sentait plus » au moment de prendre la parole[3].

  1. Idem, p. 29, Lettre d’un vérificateur du garde-meuble à Thierry de Ville-d’Avray. Le Moniteur, réimpression, I, I, fait remarquer que « le Roi prit place sur son trône ; la reine s’assit à côté de lui hors du dais ». Mais c’était, sans doute, une question d’étiquette.
  2. Dans les premiers jours de l’Assemblée, il n’y avait pas de tribune, chacun parlait sans quitter sa place ; on ne changea les dispositions de la salle qu’en juin.
  3. Étienne Dumont, Souvenirs sur Mirabeau, cit. par Hamel, I, 174.