Page:Lenotre - Robespierre et la « Mère de Dieu », 1926.djvu/64

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prémisses aveuglément posées lors des heures d’enthousiasme de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il s’est fait un programme d’un paradoxe de Rousseau, qu’il relit sans cesse : « la volonté générale est toujours droite et tend toujours à l’utilité publique. » Il s’érige en avocat du peuple dont il proclame à toute occasion la souveraineté, revendique pour les pauvres toutes les jouissances des riches, et sa voix sèche, son éloquence sans nuances et sans élans, sonne comme le glas sinistre du vieux monde. De ses sophismes émane un relent de son enfance sans joie, de sa vanité mortifiée, de ses déceptions et de ses rancunes ; on lui voit dans l’Assemblée quelques partisans, on ne lui connaît pas d’amis. Pourtant, un jour, il est élu au nombre des secrétaires[1], honneur éphémère que l’Assemblée ne lui accordera plus. À tous ces hommes d’Ancien Régime, il semble un énergumène qu’on ne peut prendre au sérieux, mais derrière lequel les plus perspicaces devinent une force irrésistible, celle du peuple crédule qui, pour la première fois, s’entend flatter et dont, sous cette caresse insolite, s’éveillent les brusques passions.

Les contemporains de Robespierre avouaient ne rien comprendre à son ascension inopinée : elle ne fut due ni à son éloquence, ni à la sympathie de ses collègues, mais à la poussée d’une popularité qu’il s’était créée, à son insu peut-être, et qu’il entretint dévotement. En outre, les circonstances le servirent : on le voyait monter à mesure que s’abaissait

  1. Le 19 juin 1790.