Page:Lenotre - Robespierre et la « Mère de Dieu », 1926.djvu/84

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Or, tandis que les badauds s’extasiaient, nombre de conventionnels maugréaient tacitement ; les esprits forts, les incrédules par intérêt ou par conviction, s’indignaient d’être mêlés à cette « bigoterie », scandaleux recul vers les superstitions de la tyrannie. Tous avaient applaudi Robespierre, bien sûr, pour ne point se signaler comme adversaires d’un pareil homme ; mais ils s’inquiétaient de sa prodigieuse popularité, et plus encore de ce que présageait son prochain pontificat.

Au nombre de ces mécontents comptait Vadier, l’homme important du Comité de sûreté générale. C’était un Ariégeois au long nez, au teint terreux, grand, sec, osseux, dégingandé comme un vieux pantin. À la Convention, composée en grande partie d’hommes jeunes, Vadier passait pour vieux, parce qu’il avait cinquante-huit ans. Son terrible accent gascon, ses improvisations amphigouriques, son incorrigible ironie et « ses soixante ans de vertu » dont il se prévalait à tout propos, lui prêtaient l’allure d’une sorte de loustic dont l’Assemblée s’était parfois égayée. Député de la sénéchaussée de Pamiers aux États généraux, il y avait assisté aux pénibles débuts de Robespierre avec lequel il contrastait singulièrement. Méridional gouailleur, et ne pouvant tenir sa langue, il ne sympathisait pas avec cet homme du Nord, concentré, glacial, laborieux, qu’on n’avait jamais vu rire ; pourtant ils avaient ensemble combattu la Gironde, et Vadier, qui s’illusionnait sur son importance, s’était « bien montré » dans la lutte contre Danton, quoiqu’il ne prît pas très au sérieux le gringalet qu’il avait vu, au temps de la Constituante, sans sou ni maille,