des victimes, une sorte de squelette, couvert de lambeaux, pâle, hâve, et cependant gardant encore la ressemblance d’un des trépassés, apparaît. On s’écrie, on fuit ; car la réforme, quoi qu’on en dise, a conservé bon nombre des superstitions catholiques. Le malheureux qui arrivait, exténué de fatigue et de privations, plein d’une joie suprême, frappe vainement à sa porte des cris d’épouvante et des exorcismes lui répondent. Tombé sur le seuil, presque évanoui de faim et de froid, on le reconnut enfin ; on le recueillit. Pendant ces six semaines, tout en travaillant à sa délivrance, il avait vécu de fromage et de petit lait ; il s’était frayé un chemin, au hasard, entre les blocs éboulés, creusant la terre et la neige, puis revenant à son gîte prendre des aliments et quelque repos ; enfin, il avait reçu au visage le souffle libre du vent dans l’espace, il avait revu la lumière bénie du soleil. « Oui, ce fut là un événement qui fit grand bruit dans le pays, et partout, jusqu’en France et en Allemagne, et qu’on mit partout dans les gazettes. Et bien que Grion soit à trois lieues, on y ressentit l’éboulement si fort, au dire des anciens, que les contrevents se fermèrent et que toutes les vitres volèrent en éclats. »
Ainsi raconta le guide Favre, assis près des voyageurs, sur le terrain même de l’événement, au col de Cheville, route du Valais. Par-dessus les chalets engloutis et les blocs brisés, depuis cent ans, les petites herbes avaient entre-croisé leurs racines, et de paisibles vaches broutaient la cime éboulée, qu’avait recouverte autrefois la neige éternelle.
« Eh bien, dit Paul en se levant, commençons-nous l’escalade ?