Page:Leo - Aline-Ali.djvu/226

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ne coule fréquemment le vin rouge ou blanc, joie de tout vrai Suisse ? D’ailleurs, chaque village a sa pinte, et, plutôt qu’une, cinq ou six. En ces lieux séparés du reste du monde, il est donc, malgré tout, quelques heures joyeuses ; et puis, les veillées entre voisins, la lecture de la Bible, celle des journaux, qu’apporte, les jours où l’ascension est possible, le facteur de la vallée.

La nuit est presque plus animée et moins silencieuse que le jour. La facilité de l’incendie, dans ces villages bâtis en sapin, y a fait conserver l’usage antique des crieurs de nuit, et depuis le couvre-feu jusqu’à l’aube on entend d’heure en heure, avec un bruit sourd de pas sur la neige, une voix traînante proclamer sur trois notes mélancoliques l’heure qui vient de s’ajouter au passé.

Favre, l’ancien guide aux Diablerets, — le jour de cette ascension fatale qui s’était terminée par la mort de M. de Maurion, habitait à l’extrémité du village de Grion un chalet bâti par son aïeul, et au fronton duquel, suivant un usage très-répandu, se lisaient des sentences bibliques :

« Éternel, je me suis retiré vers toi. Que je ne sois jamais confus. Délivre-moi par ta justice.

L’Éternel regarde des cieux ; il voit tous les enfants des hommes. »

Favre était un homme d’une cinquantaine d’années, très-robuste encore, actif, réfléchi, probe. Ayant été dans sa jeunesse garçon d’hôtellerie à Bex, il ne manquait pas d’un certain usage du monde. Cultivateur, bûcheron, guide et charretier tour à tour pendant l’été, cordonnier l’hiver, en tout temps gagne petit, il n’en jouissait pas moins de la