Page:Leo - Aline-Ali.djvu/304

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l’homme se contemple, cherchant à saisir sa propre image et à la fixer en institutions, en usages, en lois, il ressemble à ces peintres qui, de la fusion harmonieuse de toutes les nuances dans la nature, n’en savent tirer qu’une, dont ils barbouillent tout. Chaque époque a son fard, ses postiches, et se contorsionne, pour ressembler à son bizarre idéal. Suivant le mot d’ordre parti comme une balle des mains de quelque joueur, la foule court et se précipite ; la mode est au viril ou à l’efféminé, au décolleté ou bien à la pruderie ; la femme doit être ceci et l’homme cela…

De liberté, de nature, de vérité, qui se soucie ? L’homme le plus souillé rugira si la fille qu’il aime a été trompée par un autre, et sa délicate ignominie rejettera cette chaste honte, pendant que la plus pure acceptera sans rougir… Ah ! vois si je suis sincère ! je reconnais, je sens qu’en toi comme en moi la jalousie, et la plus âpre, la plus ardente, n’est que trop légitime ; et peut-être pour le reconnaître a-t-il fallu que je t’aie connue comme frère avant de t’aimer comme femme ; car l’esprit humain, — ce grand raisonneur, dit-on, — vit bien moins de raisonnement que d’habitude.

Mais tout cela, je ne le sais que par toi, ma révélatrice. Avant toi, j’ignorais ce que maintenant je sais le mieux, et je n’étais encore que la moitié de moi-même. Je te sens à la fois différente de moi et semblable. Le lien qui existe entre nous est le plus fort de tous ceux qui puissent unir et river deux êtres. Déjà tu m’étais indispensable avant de me devenir nécessaire ; tu étais déjà la meilleure part de ma vie avant d’être mon ambition la plus ar-