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Page:Leo - Attendre - Esperer.djvu/110

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ce de ce tête-à-tête champêtre, qu’elle avait d’abord accepté comme étant aussi naturel qu’imprévu, mais qui pouvait passer aux yeux des gens du pays pour un délit prémédité.

Sous cette impression, elle hâtait le pas et semblait impatiente d’arriver à la Ravine. Chaque minute diminuait l’espace et le temps qui restait à Émile pour s’expliquer. Il s’était, nous l’avons dit, promis d’avoir une explication le jour même, et l’incident qui venait d’avoir lieu l’y engageait encore. Marthe, sans cesse en avant ou arrière, grâce au compagnon de jeu qu’elle s’était choisi ce jour-là, riait aux éclats des cabrioles de Sapajou et laissait en un complet tête-à-tête sa mère et son ami. Émile pouvait donc parler ; mais qui sait la pudeur et la susceptibilité des sentiments vrais ne s’étonnera pas de son hésitation. Depuis un moment ils n’échangeaient que des mots insignifiants, uniquement pour remplir le silence, et Mme de Carzet marchait toujours, de son beau pas rapide, comme si elle eût voulu fuir cette déclaration qui errait sur les lèvres d’Émile et qu’elle pressentait peut-être.

Ce n’était point ainsi, en courant, qu’il pouvait lui parler de cet amour si profond, si éternel, qu’elle lui avait inspiré, dans lequel il voulait fixer, immobiliser sa vie entière, Une sourde impatience le gagnait. Il eût voulu pouvoir arrêter sa robe aux buissons qu’elle effleurait ; mais les buissons, les genêts épineux même, semblaient céder amoureusement aux ondulations gracieuses qu’imprimait à cette robe celle qui la portait.