Page:Leo - Attendre - Esperer.djvu/118

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sé : car je vous désirais pour gendre. Je croyais Antoinette plus sensible à votre amour ; mais mon avis est que vous avez parlé trop tôt. Un cœur de vingt-six ans, doux et tendre comme le sien, est bien accessible à d’aussi bonnes raisons que les vôtres. Il eût fallu lui laisser le temps de se détacher peu à peu de ses folles résolutions… Cependant je ne suis pas chargé de vous donner des espérances. Antoinette, au contraire, m’a déclaré fermement sa volonté de rester veuve. Ces jeunes femmes, ça ne doute de rien. Ce que je puis vous dire pourtant, c’est qu’elle a voulu vainement me cacher ses larmes ; c’est qu’elle est au désespoir de la perte de votre amitié, qu’elle est inquiète de vous et se maudit de votre chagrin.

— Qu’elle veuille donc bien m’oublier, dit Émile. Je serais trop coupable d’ajouter un tourment à ses chagrins. Il est digne d’elle de rester fidèle à un souvenir sacré. J’ignorais qu’elle eût adoré son mari.

En même temps une jalouse rougeur colorait ses joues.

— Voilà ce qui vous trompe, s’écria M. de Beaudroit, et ce qui la trompe elle-même. Ma fille n’a jamais aimé son mari qu’à la manière d’une femme honnête, et de bonne volonté, qui n’a rien de mieux à faire. Je l’ai bien vu, moi, qui de mon côté l’ai mariée aussi bêtement que les pères le font. M. de Carzet était un de ces viveurs de bonne compagnie qui pratiquent le respect d’eux-mêmes dans les exactes limites du décorum. Il avait une délicatesse de race, un bon goût natif, un