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Page:Leo - Attendre - Esperer.djvu/58

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avait point envie. Complice du sort, il pressentait le péril, mais fermait volontairement les yeux. Il éprouvait une joie secrète d’être ainsi contraint. Jamais il ne s’était senti si fort, si digne, si plein d’ardeur noble et généreuse. À l’ordinaire, il ne s’épanchait guère dans son entourage, par difficulté d’être compris. Si excellente que fut sa mère, elle était, comme la plupart des vieilles gens, peu disposée à s’intéresser aux choses nouvelles ; vis-à-vis de ses autres commensaux, il avait été facile au docteur Émile de se faire aimer ; mais pour se faire comprendre, il sentait tout un monde de préjugés entre sa parole et l’oreille de ses auditeurs, et cela par une paresse trop naturelle, lui liait la langue. Du reste, il n’avait jamais si bien senti que ce jour-là tout ce qu’il avait dit au baron et à sa fille. Toutes ses réflexions précédentes amassées avaient fourni matière à cette inspiration ; mais c’était des yeux noirs de Mme de Carzet, de ces beaux yeux si naïvement attachés sur lui, qu’était parti le rayon, la langue de feu qui avait ouvert ses lèvres.

Elle l’avait pris au mot à l’instant. Sa pensée à lui était devenue sur-le-champ la volonté de cette belle et généreuse créature. C’était comme un lien qui les unissait. Hier, presque inconnus l’un à l’autre ; demain, frères, coopérateurs. Il était tout éperdu de tant de bonheur, d’un succès si grand, et mille craintes, de nouveau, l’agitèrent. Mais engagé comme il l’était, il ne voulut pas les entendre ; il les fit taire et partit le lendemain pour la Ravine, un peu plus tôt qu’il n’était convenable strictement.

On l’attendait, et il retrouva ses hôtes de la veille encore plus simples dans leur intimité. Le baron lui serra