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Page:Leo - Attendre - Esperer.djvu/65

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mûrs ou enfantins, et les impressions qui passaient, comme des ombres ou des clartés à la surface d’une eau profonde, sur ces physionomies naïves ; et, à tel moment, le feu des regards, l’épanouissement des sourires, l’éclat de rire qui, gagnant de proche en proche, courait tout autour du cercle, ou le murmure et les soupirs de poitrines oppressées, tantôt par le ressentiment ou par la pitié, tantôt par l’admiration.

— J’ai commencé par devoir et je continue avec passion, disait à Émile Mme de Carzet. Toutes les émotions que je suscite chez ce public aux impressions neuves me reviennent plus saisissantes, et il n’est point de grand artiste qui pût me faire sentir l’art, la nature et la vie humaine aussi bien que le font ces écoliers naïfs. Que nous sommes fous de calomnier le peuple, parce que, relégué dans les bas fonds de la vie matérielle, il paraît, au premier abord, grossier, vulgaire, égoïste ! Que peut-on demander à celui qui n’a rien reçu ? Parqué dans les ténèbres, où aurait-il allumé son flambeau ? Mais quand je le vois, aux paroles que je lui transmets, s’éveiller aux idées grandes, aux sentiments généreux, s’émerveiller, palpiter, grandir, il me semble à moi que je fais œuvre divine, j’éprouve les saisissements et les joies d’un Prométhée, et sens un transport plein de confusion à porter ainsi le feu sacré dans mes faibles mains.

Émile pensa qu’un intermédiaire plus céleste ne pouvait être choisi ; mais il n’osa le dire. Il respectait trop Mme de Carzet pour la louer, et plus il