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Page:Leo - Attendre - Esperer.djvu/66

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vivait près d’elle, plus son estime devenait profonde pour ce caractère doux, sincère et réfléchi, que dominait par-dessus tout la recherche ardente, un peu timorée, du devoir. Émile, qui lui cherchait un défaut, tout incapable qu’il fût de le trouver, avait pressenti pourtant par instants une exaltation portée un peu loin peut-être, une ardeur de dévouement pour le dévouement lui-même, qui pouvait errer et tomber dans le romanesque. Mais il ne l’en trouvait que plus divine. Chaste, bonne et pure, elle ne devait en effet tout d’abord inspirer qu’un amour pieux et fraternel. À peine si le jeune homme osait fixer un regard sur elle ; mais il n’avait qu’elle dans la pensée, et c’était par un violent effort qu’il s’abstenait de se rendre à la Ravine plus de deux fois par semaine, sans compter le dimanche, où il y dînait, après les cours achevés.

Cette intimité, qui déjà excitait au plus haut point les soupçons de Mlle Chaussat, comment le jeune docteur, d’abord si prudent, n’en était-il pas effrayé ? Il y a dans tout sentiment vrai une expansion telle qu’elle isole comme une atmosphère du reste du monde celui qui l’éprouve, et ferme l’accès aux perceptions extérieures. C’est pourquoi les spectateurs désintéressés, dont la vue n’est obscurcie par aucun nuage, comprennent toujours ces naïfs secrets ayant ceux qui les renferment.

Au milieu de leurs préoccupations scolaires et bienfaisantes, l’intimité d’Émile Keraudet et de la jeune veuve fit d’immenses progrès.