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tentes, des réserves, des demi-mesures, disparaissait à ses yeux.

Plus Mme de Carzet devenait calme et sereine, plus il devenait irrité. À la voir occupée de sa classe, de ses études, des excursions de botaniste qu’elle faisait avec sa fille, même à l’affectueuse douceur de son accueil, il l’accusait d’insensibilité de mollesse de cœur, d’indifférence. Et quand il la voyait, enivrée de la vie nouvelle qu’elle menait au sein de cette belle nature, au milieu d’occupations fécondes et fortifiantes, rayonner et sourire, il se sentait furieux ; car alors elle semblait vraiment ne pas se douter qu’il y eût au monde, pour quelqu’un de ses amis, le moindre prétexte de ne pas se trouver tout à fait heureux.

Que lui-même fût pour quelque chose dans le bonheur de la jeune femme, il ne s’avisa pas d’y songer. Il avait déjà passé l’ère des émotions douces. Une plaisanterie lui semblait odieuse, et quand Mme de Carzet l’accusait quelquefois de devenir rêveur comme un savant, il était indigné d’une aussi scandaleuse méprise. Parfois, il eût volontiers licencié l’école pour voir si, à force d’isolement, d’ennui peut-être, Mme de Carzet daignerait s’apercevoir qu’il y avait sur terre un autre amour que celui des ignorants et des pauvres, et à ses pieds, dans le cœur d’un homme, tout un monde nouveau d’émotions ardentes. Il aimait enfin avec toute la fougue d’égoïsme que mettent généralement les hommes dans l’amour, et semblait n’avoir vécu si tranquille pendant trois années que pour fournir à cette passion des forces plus vives.

Suivant ce qui s’était passé dans la