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Page:Leo - Attendre - Esperer.djvu/87

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journée, sur un mot, sur un regard, parfois il partait le cœur plein, nageant dans l’harmonie des forces et des poésies universelles, grand à toucher le ciel du front, à remplir la voute céleste de son regard et de sa pensée ; — tantôt il se traînait sans force, découragé, fou, maudissant la vie, invoquant la mort.

Malgré les conseils de sa mère, Émile se dit enfin qu’il devait connaître son sort ; qu’un tel état ne pouvait être supporté longtemps sans aboutir au dérangement de l’esprit ou de la santé ; que Mme de Carzet l’aimait ou ne l’aimait pas, et que la plus simple prudence lui ordonnait de le savoir au plus tôt.

Il s’animait dans cette résolution, un jour, tout en descendant le coteau avec Mme de Carzet et Marthe ; mais si, lorsqu’il était seul, il se promettait facilement le courage d’une explication avec la jeune veuve, en sa présence il trouvait toujours mille motifs d’attendre encore. Ce jour-là, Marthe le gênait.

C’était de l’ingratitude. Le moyen généralement employé pour faire entendre aux mères qu’on est leur esclave et de se faire celui de leurs enfants. Émile n’avait point manqué à la tradition, et Marthe n’avait point manqué d’accepter son rôle, qu’elle remplissait à merveille ; car, tout en abusant de sa proie, comme il était juste, elle favorisait à chaque instant le rapprochement de sa mère et de son ami, et les forçait à ces familiarités auxquelles l’enfant communique de son innocence. Elle allait de l’un à l’autre, doux trait d’union, colombe messagère des