Page:Leo - Grazia.djvu/35

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

parlaient tous les deux, m’oubliant au point que de nouveau, bientôt, ils retombaient de l’italien dans le sarde — l’aïeule était trop sourde pour les entendre. — Sans comprendre ce qu’ils disaient, sauf quelques mots qui commençaient à me devenir familiers, je voyais bien pourtant qu’ils se bornaient à s’entendre secrètement, sans se déclarer qu’ils s’aimaient. Tout pénétrés de cette pudeur, qui serait un calcul de volupté, si de telles impressions n’excluaient pas tout calcul, ils savouraient une à une les intonations de leur tendresse, et recueillaient mutuellement, avec délices, des révélations que celui qui les formulait recevait lui-même d’une force inconnue. Vaine était leur précaution de se parler dans une langue que je ne comprenais pas ; car ce qu’ils se disaient, justement, était moins dans les paroles que dans tout ce qui parle aux yeux. Je les voyais parfois rougir ensemble, ou l’an après l’autre, par la seule raison que l’autre avait rougi, celui-ci peut-être ne sachant lui-même pourquoi. À certains moments, ils se taisaient en baissant les yeux, et c’est comme si j’eusse senti leurs cours battre à grands coups. Moi-même j’avais honte de ma présence en ces doux et sacrés mystères, et me retirais au fond de la chambre. Effisio m’en gronda, un jour que la mère était venue, et ne m’avait pas trouvé près d’eux.

Cette mère, heureusement, n’était pas gênante ; c’était l’être le plus effacé de la maison : silencieuse, douce, avec des yeux placides, un peu rêveurs, elle allait et venait sans cesse, veillait à tout et servait son mari avec l’humilité d’une esclave. — Francesca ! disait-il sans cesse. Et elle accourait obéissante, n’objectant jamais rien à ses ordres, recevant sans murmure ses brutalités. Pendant les huit jours que je passai dans cette famille, je pus voir combien chez ce peuple, comme chez tous les peuples primitifs, la femme est encore a baissée. Le Sarde est monarchique ; il y a dans son histoire