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Page:Leo - Grazia.djvu/36

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une longue et noble résistance à la conquête étrangère ; mais on n’y trouve point de révolte contre les divers gouvernements établis, sauf en 93 et 94, où l’ébranlement de la Révolution française vint jusqu’à soulever dans leurs forêts ces paysans et ces pasteurs à demi sauvages.

La monarchie donc régnait au foyer des Ribas, absolue, incontestée. Au froncement de sourcils du maître, tout se taisait ; les serviteurs, comme les enfants, comme l’épouse, obéissaient sans mot dire. Grazia, l’orgueil de son père, n’en tremblait pas moins devant lui. L’aïeule, plus respectée, seule avait de l’influence. Peut-être cela tenait-il surtout à la communauté d’idées entre elle et son fils. Cette femme, âgée de soixante-dix ans, qu’on appelait encore l’Effisia, avait une expression d’énergie remarquable, un peu mystique. On la voyait habituellement, absorbée, silencieuse, filer sa quenouille au fond de la chambre. Quelquefois, d’un filet de voix clair, point cassé, même harmonieux, mais qu’on eût dit arriver de loin, à travers je ne sais quels espaces, elle chantait les chants de sa jeunesse. L’Effisia n’était pas méchante, elle ne tracassait personne ; elle était plutôt bienveillante, et même gaie, quand elle parlait avec ses voisines, ou avec ses petits-enfants. Mais on sentait en elle quelque chose d’inflexible et de formé. On voyait que, repliée sur ce qui avait été sa vie d’autrefois, elle ne pouvait plus rien recevoir du temps actuel. Comme ces vieillards du passé, qui étaient les temples de la tradition, elle gardait en elle, dépôt sacré, le souvenir exact, scrupuleux, des coutumes du pays et de la famille. On la consultait sur ce point avec déférence et elle donnait ses avis avec autorité.

André Léo.

(À suivre)