Page:Leo - L Institutrice.djvu/143

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Peu à peu l’habitude se prit et l’enfant se résigna. La pénétration du regard, l’effusion de la tendresse s’affaiblirent. L’enfant devenait distraite et moins expansive. Un jour, grand jour de foire à Messaux, absorbée par les jouets brillants d’une loterie, elle se laissa froidement embrasser par Sidonie, qui rentra chez elle cacher ses larmes.

Pour elle, cette passion maternelle, qui s’était emparée de son cœur, était restée la même. Ce qu’elle souffrait chaque jour, en pensant aux duretés, aux inintelligences de l’éducation que subissait la chère enfant, était horriblement cruel. Quelquefois, dans ses rêves, elle voyait Rachel frappée par sa mère et se réveillait en criant. Le jour, elle ne se la représentait guère autrement que prisonnière, dans la chambre haute, comme elle l’avait trouvée avec son catéchisme, et repliée sur elle-même, tout endolorie de larmes et de chagrin. Et Sidonie elle-même vivait dans l’étouffement de cette chambre, de ce chagrin, de cette prison…

Oh ! comment y a-t-il des gens assez barbares pour contrister ces petits êtres, si doux quand on veut bien leur permettre d’être heureux ? pour comprimer les battements de ces cœurs, si expansifs, si joyeux de vivre ? pour refouler et troubler cette source vive qui s’épanche en gazouillant ? pour flétrir ce vivant sourire ? Elle les haïssait. Il n’était point de crime et de sacrilége qui lui parussent comparables à ce brutal dégât du bonheur de l’enfance et de ses facultés les plus précieuses. La pensée de Sidonie ne vivait point autour d’elle ; elle hantait la ferme, et là voyait par intuition ou imaginait des scènes qui la torturaient.