Page:Leo - L Institutrice.djvu/146

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voulu échapper à cette souffrance, rompre avec le sort, fuir ailleurs, bien loin, nulle part peut-être, qui sait ? mais enfin cesser de souffrir. Elle en avait assez de ce vide douloureux qui l’épuisait, de cette faim non satisfaite, de cette existence qui n’était pas la vie, mais quelque chose entre la vie et la mort. Celle-ci valait mieux. Sidonie eut le désir, mais non l’audace. Nature douce, pliée dès l’enfance à la crainte de l’opinion, elle avait peur du scandale, jusqu’après la mort.

Puis, la nature humaine est ainsi faite, qu’arrivée à ce dernier seuil, elle se dit : J’ai toujours le temps, maintenant.

Dans ces dispositions, lorsque Sidonie apprit que Rachel venait d’entrer au couvent, chez les bonnes sœurs de la commune voisine, pour y faire sa première communion, ce fut à peine si sa douleur en fut augmentée. Elle savait déjà que l’enfant était perdue pour elle ; ce dont elle souffrait surtout, c’était de voir Rachel perdue pour elle-même. Cette nature spontanée, droite, vibrante, naïve, allait être soumise à cet enseignement purement littéral, sorte de lanterne magique non éclairée, si souvent absurde, et sciemment faux, qui soumet le cœur et la raison de l’enfant à un système de compression analogue aux bandelettes des pieds chinois. En se rappelant les vivacités charmantes de la chère petite, et ses reparties souvent profondes, et la vigueur de cette jeune intelligence qui ne demandait qu’à croître, Sidonie se révoltait comme devant un meurtre : alors, si elle était seule, elle pleurait abondamment, et même au milieu de la classe, bien souvent sa voix s’altérait, et de grosses