Page:Leo - L Institutrice.djvu/170

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retrouvait là cet Ernest imaginaire, qu’elle avait pétri à l’image de sa pensée.

Dans ce temps où elle se croyait aimée, elle avait été seule encore, toujours seule ; et pourtant tout ce qu’elle avait touché dans ce temps-là en était resté imprégné d’amour. Ces roseaux et ces peupliers en avaient gardé des murmures plus harmonieux ; l’air y était chargé de plus d’effluves ; l’eau semblait y frémir avec plus de mystère et de tendresse. Et tandis que l’enfant, qui accompagnait Sidonie, babillait, joyeuse, elle, sans s’entendre elle-même, lui répondait par monosyllabes, ne pouvait retenir des larmes silencieuses, qu’elle écrasait sous sa main.

Quand ils rentrèrent, la table était dressée ; des serviettes blanches, pliées en triangle, couvraient les assiettes de caillaux peintes, à côté des couverts d’étain ; et, dans la cuisine en face, Mme Maigret, aidée de sa fille aînée, allait et venait toute rouge, autour d’un grand feu. Dans l’embrasure de la fenêtre, à côté de M. Maigret, Sidonie vit un monsieur qu’elle ne connaissait pas, et qui la salua, en s’inclinant très bas, mais d’un air observateur. Dans les villages, on ne connaît point les présentations ; le nom de ce monsieur resta donc un mystère pour Sidonie, jusqu’à ce qu’elle l’eut entendu appeler M. Lucas. Elle se souvint alors qu’on lui avait parlé de ce monsieur comme d’un coryphée parmi les instituteurs du pays, et ce fut avec plus d’attention qu’elle l’examina.

M. Lucas pouvait avoir de 45 à 50 ans ; il était de taille moyenne et large de buste avec d’assez petites jambes. Il se tenait cambré, portait des lunettes et parlait dans