Page:Leo - L Institutrice.djvu/185

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d’espérance, oubliant tout, ou plutôt ne sachant rien, laissant de côté sa pauvreté, le monde, n’écoutant que son cœur, qui battait si haut, et sa jeunesse qui malgré tout croyait, rêvait et chantait, comme un rossignol dans la nuit. Là, en dépit des réalités, elle avait donné carrière à ses désirs ; elle avait été belle, aimée, heureuse ; elle avait fait du bien ; elle avait réformé la vie, la faisant, à ses souhaits, charmante, bonne et juste ; elle avait créé, dans ce petit coin de brume, des mondes étincelants ; là, pendant longtemps, elle avait cru de toute son âme, que tout ce qu’elle portait en elle d’amour, de croyances, d’aspirations, aurait son emploi, et qu’elle aussi, fille de cette grande nature, où tout marche vers sa fin, elle porterait ses fruits dans la vie humaine. Mais non ; son existence était demeurée stérile, et chaque année, au lieu de lui apporter de nouvelles fleurs et de nouveaux fruits, l’avait dépouillée une à une de toutes ses branches, de tous ses espoirs !

Elle sentit son bras pressé sur la poitrine de M. Lucas ; d’une voix emmiellée, qui sentait à la fois l’encens et la rhétorique, l’instituteur lui disait :

— Ne devinez-vous pas le vœu de mon cœur, ma chère demoiselle ?

Elle tressaillit et voulut retirer son bras.

— Voyons, dit-il en la retenant, avec un sourire plein de fatuité, il ne faut pas avoir peur de moi. Je ne suis pas méchant.

Et se penchant vers elle :

— Ne voulez-vous pas me dire que vous m’aimerez un peu ?

Sidonie se dégagea brusquement.