Page:Leo - L Institutrice.djvu/196

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Non, ce peuple ne doit pas goûter le fruit de l’arbre de science, car il deviendrait comme l’un de nous, sachant le bien et le mal ; car il faut, au contraire, que le mal lui semble le bien, et le bien le mal. S’il faut qu’il lise enfin, il lira ; mais il n’aura que la lettre sèche et froide, qui rebutera son esprit, ne dira rien à son cœur et lui rendra l’étude vaine et impossible. Ce qu’il apprendra surtout, c’est la tradition qui le condamne ; il demande la vie, le mouvement, la réalité ; on lui donnera le mythe, l’immobilité, la mort. On lui offrira pour objet d’amour une momie de 4 à 5,000 ans, et il préférera le travail de la bête de somme, la vie au jour le jour. Voulût-il d’ailleurs autrement, il ne pourrait ; car la science est un luxe, réservé aux riches, avec l’or, la soie, le vélin.

Pourtant, quand le cri : La science au peuple ! deviendra trop fort, alors, on annoncera, à grand fracas, des lois sur l’instruction populaire ; puis, des ministres viendront, devant ce qu’on appelle des représentants du peuple, lire un amalgame savant, où le vide et le plein s’équilibreront dans une admirable neutralité, où chaque pas en avant sera racheté par une enjambée en arrière, où les écoles de hameau, bâties sur papier, n’apparaîtront que pour introduire la lettre d’obédience. Et les représentants du peuple jetteront les millions à l’armée, instrument de répression, bras du privilége, et gratteront les sous destinés à l’instruction populaire. Tout ce qui soutient le privilége est choyé, craint, respecté ; on donne des pensions aux veuves des gendarmes ; on n’en donne pas aux veuves des instituteurs. L’instituteur, valet de la sacris-