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Page:Leo - L Institutrice.djvu/198

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Interrogée tous les soirs sur ce qui s’était passé à l’école, cette enfant était devenue attentive à tout. Pour Sidonie, elle avait pensé et parlé comme en rêve ; poussant un long soupir, elle se remit à faire sa classe comme auparavant.

Mais, dès le soir même, le curé se transportait chez plusieurs des élèves et leur faisait subir un interrogatoire. La plupart n’avaient pas remarqué l’exclamation de leur institutrice ; mais à force de questions, elles déclarèrent quelque chose. Celles à qui la fille du sacristain avait parlé, et cette fille elle-même, affirmaient positivement que l’institutrice avait dit, en poussant le livre saint : — On écrivit jetant, et vers la fin du rapport ce verbe se trouva changé en celui de fouler aux pieds. — C’est odieux, c’est infâme ! Tous les autres griefs reprochés à Sidonie, commentés, élargis, interprétés, furent groupés autour de celui-là. On l’accusa de lire Voltaire, et l’expression de lois naturelles, qu’elle employait fréquemment dans ses explications des sciences de la nature, devint une preuve de ses affinités avec Diderot, d’où l’on insinua qu’elle inspirait aux enfants l’immoralité. Ce fut un scandale, des commérages, des babillages à remplir tout le village, et bientôt les villages voisins. Une vieille dévote, en levant les mains au ciel, regretta qu’on ne brûlât plus les sorcières. M. le curé ayant écrit les dépositions des petites filles, en adressa un exemplaire au recteur de l’Académie, et un autre à l’évêché.

(À suivre)

ANDRÉ LÉO