Page:Leo - L Institutrice.djvu/222

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pour les désœuvrés du château de Rochelande. Mme de Néris s’en occupe à un autre point de vue.

— Son tricot la tue ! s’écrie-t-elle, en retrouvant chaque été son amie plus vieille, plus toussante et plus courbée.

— Et quand ce serait vrai ? répond l’institutrice, avec un pâle et triste sourire, le beau malheur !

Ce reste de vie, usé dans un travail si stérile, et qui pouvait être si fécond ; si avili, et qui pouvait être si noble : ce reste de vie, si inutile aux autres, et si amer pour elle-même, lui pèse. Elle n’a plus d’illusions, et le monde n’a pour elle aucun prestige ; elle le méprise ; car elle à vécu dans les dessous de ce théâtre menteur, non pas en aveugle, comme tant d’autres servants du machiniste ; mais en clairvoyante. Ce qu’elle a encore d’amours et de croyances la fait souffrir : et quand elle rencontre dans les rues du village le troupeau des petites filles conduites par les sœurs, marchant d’un petit air hypocrite, les yeux baissés et les mains sur la poitrine, en rangs bien alignés, elle presse le pas et soupire. Elle aime Berthe de Néris, mais sans estime ; et tout en acceptant d’elle de quoi ne pas mourir, elle bénirait une mort qui affranchirait l’institutrice des aumônes de la courtisane.

ANDRE LÉO.


FIN