Page:Leo - L Institutrice.djvu/99

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ment justifier cette exception ? L’aimait-elle encore ? Elle voulait se dire que cela n’était pas possible : un homme marié !… Mais pourquoi le trouble profond dont elle était agitée à son souvenir ? Elle avait beau le nier : depuis le jour où cet homme était entré dans son cœur, il n’en était point sorti. L’image était là toujours, immuable, dans son asile. Il était là et ne le savait pas ! Qu’il est mystérieux et profond ce monde occulte des influences exercées par les êtres humains les uns sur les autres, en dehors des faits extérieurs !

— Eh bien, quand allons-nous donc chez les Moreau ? disait chaque jour à sa fille Mme Jacquillat, désireuse de revoir une vieille connaissance.

Il fallut bien s’y résoudre. Un jeudi du mois de mai, profitant d’une carriole qui passait non loin de la ferme des Moreau, elles partirent. C’était environ à cinq kilomètres de Messaux. La carriole les déposa sur la route, et elles prirent un sentier dans les champs. Sidonie éprouvait un saisissement qui la rendait oppressée et silencieuse. La lumière du soleil, les chants des oiseaux, les herbes et les feuilles, humides encore d’une pluie tombée le matin, elle ne voyait tout cela qu’à travers un voile. Près de la maison, elle pria sa mère de s’arrêter un moment, sous prétexte qu’elle ne voulait pas arriver toute rouge et tout essoufflée.

— Mais tu es pâle, au contraire, observa Mme Jacquillat.

Appuyée de la main sur un petit mur d’enclôture, Sidonie contemplait la grande porte, les bâtiments rangés autour de la cour, et, au milieu, la maison neuve qu’Ernest avait fait bâtir, une de ces maisons