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Page:Leo - Les Deux Filles de monsieur Plichon.djvu/152

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— Peut-être avez-vous raison, dit-elle en baissant les yeux, mais… mon cœur a été brisé !…

— Non, chère tante, il est encore généreux, droit, plein de vie et de jeunesse. Il a besoin d’aimer, d’aimer fortement, d’avoir un objet unique et d’être l’unique objet d’un autre cœur. Vous avez besoin d’autres enfants que de ceux des autres ; vous vivez d’emprunts, d’à peu près, ce qui n’est pas vivre. Votre faculté d’aimer, inassouvie, s’éparpille en vain, et, faute d’être bien fixée, devient inquiète, maladive et vous tourmente. Il en est encore temps ; mariez-vous.

Clotilde baissait la tête avec embarras et me serrait les mains avec tendresse. Elle était rouge, fort émue ; je lui parlais avec vivacité ; rien n’était donc plus facile, pour qui le voulait bien, de prendre tout ceci pour une scène d’amour. Ce fut à ce moment que j’aperçus à quelque distance, dans l’allée en face, un corps sombre et un œil perçant qui rentrèrent aussitôt dans le fourré. Mais j’avais eu le temps de reconnaître M. Forgeot, d’autant mieux, qu’un instant après, sentant sa maladresse, il reparut dans l’allée en nous tournant le dos, ayant l’air de chercher quelque chose à terre.

— Par exemple, je vous défends d’épouser celui-là, dis-je en le montrant à Clotilde. Je vous le donne pour un égoïste hypocrite.

— Le cousin Marc ! s’écria-t-elle en protestant. Mais savez-vous bien, William, poursuivit-elle en retournant à sa pensée, que vous êtes l’homme le plus désintéressé que j’ai connu.

— Pourquoi cela ?