Page:Leo - Les Deux Filles de monsieur Plichon.djvu/271

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vaises, une seconde nature toute de convention, qui nous fait agir avec l’hypocrisie la plus naïve et la plus inconsciente dans tous les actes qui doivent tomber sous le contrôle d’autrui. Si je romps, Blanche, qui au fond de l’âme me préférerait un homme plus riche et mieux épris, versera des larmes sur ma trahison et s’arrangera pour en souffrir, ne fût-ce que par l’ennui d’avoir à se montrer quelque temps fidèle à mon souvenir. Édith elle-même m’accuserait et j’aurais rompu sans retour avec sa famille et avec elle. Montrer la vérité à Blanche et la lui faire adopter, vaincre les objections, les répugnances, les beaux sentiments, les défiances de tous, œuvre impossible ! Si peu d’entre nous cherchent le vrai et le veulent sincèrement ! Et cependant, quant à devenir le frère de celle que j’ai si longtemps appelée, dans mes rêves ardents, pour mon éternelle compagne, quant à vivre près d’elle dans les bras d’une autre que je n’aime pas, c’est outrager plus que l’honneur, c’est plus que rompre des serments, ce serait manquer à ce qu’il y a de plus sacré, me mentir à moi-même.

Voilà ce que je m’étais dit, ce que je dois me dire encore. Tout cela est vrai ce soir, comme c’était vrai ce matin.

J’allais partir, fuir une situation si fausse et si odieuse, partir sans explication et leur envoyer ensuite mes excuses et mes regrets. Je ne la verrais peut-être plus ; je ne savais pas ce que je ferais après ; mais rester ainsi à deux pas d’elle, sans jamais pouvoir l’atteindre, c’était au-dessus de mes forces, ou du moins je le croyais.

Puisqu’elle le veut, j’essayerai ; mais si mon cœur m’échappe, ce sera sa faute. Elle est plus forte que moi.