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Page:Leo - Les Deux Filles de monsieur Plichon.djvu/346

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chagrin te prendra bientôt, près de cette femme que tu ne peux pas aimer, dans cette union sans consolations et sans avenir.

Si tu savais combien j’ai le cœur triste de te voir presque perdu pour moi ; car nous suivons des voies si différentes, que nos pensées ne peuvent plus s’associer. Une gène, que tu ressens déjà, va glacer notre amitié. Déjà tu doutes de moi, et tu m’attaques dans ce que j’ai de plus cher, pour te disculper d’avance, dis-tu. Mais je n’espère pas changer ta résolution ; tu as attendu pour m’en faire part d’être à la veille de l’exécuter, et ma lettre ne peut t’arriver que le jour où tu demandes que j’arrive moi-même. Non, je ne serai pas ton témoin ; je ne rentrerai à Paris qu’après ton départ pour l’Allemagne.

Ce n’est point une rupture, je n’en admets pas entre nous. Mais je ne puis surmonter sitôt le chagrin et les répugnances que m’inspire ta situation. Combien tes rêves de jeune homme étaient différents de cette triste fin, Gilbert. Tu as agi par coup de tête, dans l’effroi de la pauvreté. Quand le regret t’aura pris, nous pourrons mieux nous entendre et je pourrai t’aimer comme auparavant. Je serai toujours ton ami. Reste le mien, malgré ma franchise. Il est des souvenirs que rien ne peut briser, et contre lesquels l’orgueil même doit être sans force ; nos jeux d’enfance, nos épreuves de jeunesse, une si longue communauté… Au revoir, Gilbert.