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SOIXANTE-UNIÈME LETTRE.

GILBERT À WILLIAM.

Paris, 12 juin 1832.

William, si je ne te savais pas si généreux et si confiant, je n’oserais pas revenir à toi ; car j’ai attendu le malheur pour m’y décider. Mais sans que j’aie besoin de te l’affirmer, tu sais que mon amitié n’a pu s’éteindre. Tu n’étais pas à Paris quand j’y suis revenu, et puis je craignais ton mépris, et n’aurais pu supporter ta froideur.

Je n’aurais pas osé parler de ma femme en face de la tienne, encore moins vous la présenter. Mon ami, je souffrais mille fois plus que tu ne l’avais prédit, et je n’ai pas voulu te porter ce malheur ignoble, auquel tu ne pouvais rien. La vue seule de ma femme, son amour, sa jalousie, tout m’écrasait. Au milieu de ces dégoûts, je n’ai pu jouir de la richesse et l’ai presque prise en haine.

Me voilà débarrassé de mon joug, et seul et pauvre comme auparavant. Ernestine est morte en couches, il y a deux mois, sans avoir pu donner la vie à l’enfant qu’elle portait, et sa mère m’a dépouillée de tout. Ces quatre ans et demi de galères ne m’ont servi à rien ; mais je me sens si heureux d’être libre, que la pauvreté ne me fait plus peur. Conseille-moi sur ce que je dois faire, et avant tout, permets-moi, si ton cœur le demande, d’aller t’embrasser. J’ai appris par Delage que tu es devenu un grand propriétaire. Si je pouvais t’être utile là-bas ? Mon cher ami, je suis si humilié vis-à-vis de toi, — par ma seule faute, j’en conviens, — que je souffrirais de tes