Page:Leo - Les Deux Filles de monsieur Plichon.djvu/48

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briser cette pauvre jeune âme si cruellement qu’elle dût mépriser jusqu’à sa douleur. Une explication de vive voix était trop dangereuse. J’écrivis. Sans lui révéler le motif de mon départ, je lui disais adieu pour toujours, et je t’assure, avec l’accent d’un désespoir véritable, car — c’est un des retours de notre précieuse nature — à présent qu’il me fallait renoncer à Blanche, je n’éprouvais plus d’hésitation à l’égard du mariage et m’y serais jeté sans balancer.

Je la rencontre tous les soirs à l’établissement des bains, soit dans les jardins, soit dans les salons, avec sa famille. J’y allai ; j’étais malheureux, embarrassé. Je n’osais aborder Blanche, que je suivais seulement des yeux, et, tandis qu’elle se promenait sur la terrasse, avec sa tante et sa sœur, je restai longtemps à causer avec madame Plichon, assise dans le salon près d’une fenêtre ouverte. Il faut que tu saches que madame Plichon est une personne excellente et vraiment distinguée qui me va au cœur tout à fait comme mère. Je ne sais comment la conversation tomba sur le soupçon, ce triste élément de notre atmosphère sociale. J’en parlai sottement avec tant de vivacité, que madame Plichon, en arrêtant sur les miens ses yeux noirs intelligents, me demanda : Qu’avez-vous donc ? Je répondis vaguement et la quittai pour aller enfin rejoindre Blanche qui, assise sur un banc à quelque distance, faisait semblant de ne pas me voir, mais, détachait vers moi comme messagers à tout moment les doux sons de sa voix, ou des éclats de rire lutins qui venaient me tirer l’oreille. En entendant derrière elle le bruit de mes pas :