Page:Leo - Marianne.djvu/164

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Si belle, si bonne et si grande ! Marianne, je veux être digne de vous ; oui, vous serez heureuse, vous serez aimée !

— Vous me gâtez, ami. Vous voyez au contraire combien je suis faible, mauvaise même, ingrate ! Oh ! que je me reproche… et que vous êtes bon, Albert

Elle penchait son front et de nouveau ses larmes coulaient. Il la serra contre son cœur avec un mélange de honte et d’ivresse.

— Albert, lui dit elle, soyons plus unis que jamais. Vous aurez toutes mes pensées, donnez-mol toutes les vôtres. Il faut combler ce qui nous sépare. À force de franchise et de bonne volonté, il faut arriver à nous connaître tous deux, comme chacun de nous se connaît soi-même. Alors plus de trouble, plus doute ; nous serons sûrs l’un de l’autre, et, quoi qu’il arrive, rien ne pourra plus nous séparer.

— Chère bien-aimée, murmura-t-il, ne verrez-vous pas en moi trop de faiblesses ?

— Je les aimerai, dit-elle, et trouverai du charme à les secourir, quand elles m’auront été confiées et données par vous. Et de même, cher Albert, je vous demanderai pour les miennes secours et indulgence. Oh ! mur mura-t-elle plus bas, l’amour ne contient-il pas tous les amours, celui de la mère et de la sœur, aussi bien que de l’amante ?

— Ange ! fée ! chère inspirée ! dit-il en la couvrant de baisers ; tu me rendras la force, tu me donneras une vie nouvelle !

Et il le croyait, tout au sentiment d’enthousiasme qu’elle excitait en lui, à l’ivresse que lui inspirait la vue de cette charmante fille, qui restait entre ses bras, les joues humides de larmes, et les yeux et les lèvres brillants d’amour, de sourire. D’abord tout abandon, bientôt cependant elle rougit, l’écarta doucement, et, comme pour se mettre sous la protection publique, alla se placer à la fenêtre, d’où elle jeta les yeux autour d’elle. À la fenêtre d’une mansarde en face elle aperçut une jeune femme qui semblait regarder aussi Marianne et fit un brusque mouvement ; mais ce n’était sans doute pas Marianne qu’elle regardait. Puis la jeune fille se pencha dans la rue ; mais Albert, avec une certaine angoisse, la rappela :

— Je vous en prie, Marianne, vous ne devez pas vous montrer ainsi chez moi,

— À Paris observa-t-elle, qui me reconnaîtra ?

— Cela peut arriver, par chance. Il ne faut pas vous y exposer.

— Cela est pourtant étrange, Albert ! Qui m’est plus proche que vous ? qui plus que nous a le droit de se voir et de s’entendre ?

Cependant elle rentra dans la chambre et dit :

— Eh bien ! il est temps que j’aille rassurer votre mère ; mais auparavant donnez-moi pour écrire à M. Audret. Je jetterai la lettre en revenant.

— Ah ! Marianne ! soupira-t-il, faut-il que j’accepte cela de vous ?

— Et pourquoi non ? dit-elle.

Pourquoi non ? Il le savait et en rougissait en lui-même. Cependant il n’avait pas hésité à devoir faire payer par sa femme ce qu’il avait honte d’accepter de sa fiancée, le prix des toilettes de ses maîtresses. Où était la différence ? De même, tout à l’heure, il refusait un bienfait qu’il appelait une insulte, parce que Marianne l’accusait de l’avoir trompée. Et maintenant l’avait-il moins trompée ? Seulement elle le croyait maintenant, et par cela seul il semblait à Albert que ce n’était plus la même chose. C’est dans les mots et dans les apparences que réside ce qu’on appelle la conscience de la plupart des hommes.

Marianne écrivit sa lettre, la plia, la cacheta, et Albert cherchait un timbre pour l’affranchir, quand la porte s’ouvrit sous une main brusque, et parut dans l’encadrement une figure d’une expression étrange : c’était une jeune fille blonde, jolie, à la mise modeste, dont les traits offraient un mélange bizarre d’effarouchement et de décision. À son mouvement emporté, on eût pu croire qu’elle venait pour livrer bataille ; cependant elle s’arrêta, intimidée, sur le seuil, et la voix sembla lui faire défaut pour ce qu’elle avait à dire.

Ainsi la vit Marianne, qui en même temps se demanda où elle avait déjà rencontré cette femme. Ce visage ne lui était pas inconnu. Mais que venait-elle faire ainsi dans la chambre d’Albert ? Ce n’était pas une blanchisseuse ; elle n’avait à la main rien qui justifiât sa présence, et malgré la simplicité de sa mise, son air n’avait rien de vulgaire. Et puis elle n’avait pas même frappé…

Déjà, pendant ces réflexions et même avant de les avoir faites, une lame aigüe avait traversé le cœur de Marianne. Que voyait-elle ? qu’allait-elle entendre ? En un instant, tout le travail qu’elle venait de faire sur elle-même, toute la ferveur de cette réconciliation furent effacés ; elle se retrouva en plein doute comme auparavant, et plus émue, plus terrifiée de ce changement, après ce qui venait de se passer, qu’elle n’eût pu se l’exprimer à elle-même.

Son trouble l’empêcha de voir celui d’Albert. Lui aussi était resté pétrifié de l’apparition de Fauvette ; mais il comprit immédiatement qu’il ne pouvait s’en tirer qu’à force d’audace, et, s’il éprouvait une grande peur, il n’en ressentait que plus de colère. il marcha donc sur Fauvette avec l’expres-