Page:Leo - Marianne.djvu/198

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que j’avais avant, et il n’en a jamais payé le loyer qu’une fois, pendant que j’étais malade. Ça… je voudrais le lui rendre… mais… j’en suis bien fâchée, je ne puis pas. Moi aussi, j’ai passé du temps pour lui, je raccommodais son linge. Même, en fait de cadeaux, je n’ai jamais accepté de lui qu’une toilette de dimanche, parce qu’il fallait ça pour qu’il fut content de se promener avec moi. Du reste, il ne m’a jamais fait que du tort, et puis le chagrin… Tout ça ne sont pas des choses qui se payent, voyez-vous, et votre mari aura beau être riche, il m’en devra toujours. Vous auriez dû penser à ça avant de venir ici… parce que je n’aime pas à dire des choses dures aux gens ; mais ce n’était pas à vous à vous occuper de ces choses-là. Je ne suis qu’une pauvre ouvrière, moi ; mais, si mon fiancé m’avait trompée, au lieu d’aller trouver sa maîtresse pour lui offrir de l’argent, je lui aurais dit, à lui : C’est bon ! trompe les autres, si tu veux, tu ne me tromperas plus. Mais il parait que les demoiselles riches, ça n’est pas la même chose, et que vous trouvez bon qu’on vous prenne pour votre argent, et qu’on nous laisse nous autres pour notre misère.

Elle avait parlé vivement, irrésistiblement, sans que Marianne pût l’interrompre, et cet emportement l’avait rendue toute tremblante ; de vives couleurs animaient le haut de ses joues, pâles autour des lèvres, et des larmes se pressaient au bord de ses yeux.

— Vous avez mille fois raison, mademoiselle, se hâta de dire la jeune fille, et je ne sais comment j’ai pu oublier de vous avertir tout d’abord qu’Albert n’était plus mon fiancé.

Fauvette la regarda, saisie de cette nouvelle.

— Ah ! bien vrai ? vous ne voulez plus ?…

— Je vous l’affirme. Je le lui ai déclaré, je l’ai dit à ses parents.

— Oh ! alors vous êtes une brave fille !… Pardon Oui, parce que… vous avez senti que c’était odieux !… Croyez-vous que j’aurais voulu l’aimer, moi, si j’avais su qu’il avait une fiancée ? Non, bien sûr ; ou bien il lui aurait écrit devant moi que c’était fini entre eux… Oh ! oui, c’est affreux de mentir ainsi ! Moi, qui le croyais !… Je sais bien que j’étais folle… mais voilà. On ne peut pas aimer et être de sang-froid. Oui, je croyais tout ce qu’il me disait… parce que cela me faisait plaisir ! Oh ! si vous saviez ce que j’ai souffert depuis… c’est ce qui m’a rendue un peu méchante tout à l’heure. Je vous demande pardon. Je souffrais de vous voir… Ainsi, vous avez rompu ?… êtes vous bien sûre qu’il ne vous reprendra pas ? Il sait si bien parler… hélas !… et si pressant quand il veut !… Oh ! que c’est affreux de tromper ! Il y a des moments où je ne peux pas encore m’imaginer… mais c’est fini, bien fini !…

Elle pleura.

— Pour moi, reprit Marianne, c’est bien fini. Je n’épouserai jamais un homme qui se sera uni à une autre femme et l’aura abandonnée il me semblerait prendre le mari d’une autre. Mais pour vous, si vous l’aimiez encore, peut-être, qui sait ? Tout pourrait n’être pas fini…

— Si je l’aime encore !… Ah ! je ne peux pas m’en déshabituer si vite. Je voudrais et je ne puis pas. Mais je finirai bien par ne plus l’aimer, voyez-vous, parce que… il s’est trop mal conduit vis-à-vis de mol ; quand j’y pense, je ne puis plus l’estimer, et je le vois si différent de celui que j’aimais !… Ce n’est plus le même.

Marianne resta rêveuse. Fauvette essuya ses yeux la regarda. La figure aimable et franche de Mlle Amont l’attirait ; mais, en y réfléchissant, elle ne s’expliquait pas bien encore sa présence et son langage. Comment venait-elle sans colère cette fiancée qu’Albert avait trahie pour elle, Fauvette, comme il avait, hélas ! trahi Fauvette pour sa fiancée ? Celle-ci, l’ouvrière l’avait maudite ; comment se faisait-il qu’à son tour cette belle demoiselle ne maudit pas l’ouvrière, cause de la rupture de son mariage, et qu’elle vint chez elle ainsi d’un air doux ? Peut-être voulait-elle savoir quelque chose ? et d’abord, disait-elle vrai ?

— Mademoiselle, dit Marianne en relevant la tête, votre figure m’a inspiré de la sympathie, votre situation également. Je ne sais encore en quoi je pourrai vous être utile, mais je voudrais essayer… Et pour cela, il me faudrait vous bien connaitre. Voudriez-vous me raconter votre vie… jusqu’ici ?

Cette demande accrut la disposition défiante de Fauvette.

— Vous raconter ma vie, répondit-elle ; et qu’avez-vous besoin de la savoir ?

— Je vais vous le dire, dans l’espoir de réparer…

— Oh ! pour cela, vous en savez assez de ma vie. Mais quant au mal que m’a fait votre parent, vous n’y pouvez rien.

Marianne se vit avec chagrin aussi peu avancée qu’auparavant, elle fut sur le point de se lever et de laisser simplement son adresse à Fauvette ; mais elle voulut faire un nouvel effort.

— Je vois, dit-elle, que vous ne vous expliquez pas bien ma démarche et mes intentions. Laissez-moi vous dire une chose. N’avez-vous jamais imaginé qu’il puisse se trouver des gens, qui, au lieu de trouver bien tout ce qui se fait et de dire comme tout le monde, se sentent offensés par beaucoup d’injustices qu’ils voient, et voudraient les empêcher ou les réparer autant qu’ils peuvent ? Moi, qui ai été élevée dans la richesse