Page:Leo - Marianne.djvu/40

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de sa cousine, qu’elle trouva, toute éplorée, sur le banc que venait de quitter Albert.

— Qu’as-tu lui demanda-t-elle en l’embrassant.

— Oh ! rien !…

— C’est à croire, comme te voilà.

— Tu aimes mieux que je le devine… Est-ce que je n’ai pas vu comme Albert te regarde ? est ce que je ne viens pas de le voir passer, là, près de nous, d’un air tout désespéré ? Vous vous êtes fâchés ?

— Je lui ai fait de la peine… et cela me désole.

— Pauvre petite ! dit Emmeline en s’asseyant près de sa cousine et en passant le bras autour d’elle avec ces airs de chatterie qu’aiment à prendre beaucoup de jeunes filles. Eh bien ! si tu en es fâchée, ce n’est pas difficile à arranger.

— Oh ! si !

— Pourquoi donc ?

Marianne se taisait.

— Est-ce qu’il t’a fait une déclaration ?….. Que tu es sotte ! Dis-moi le donc, puisque je le devine.

— Non, Emmeline, laisse-moi, je t’en prie.

— Ah ! ma chère, ce n’est pas bien ; tu n’as pas confiance en moi. Je croyais que nous étions amies ?

— Mais cela regarde Albert.

– Eh bien, n’est-il pas mon frère ? Ah ! et puis tu vois bien… tu viens de l’avouer ; il t’a fait une déclaration ? Tu es bien heureuse ! Moi, cela ne m’est pas encore arrivé. Après cela, on ne peut m’en faire qu’au bal, et, en dansant un quadrille, ce n’est pas commode. Maman ne veut pas que je valse. Ce n’est pas convenable pour une demoiselle… Et puis nous sommes allées, si peu dans le monde cet hiver. Et comment t’a-t-il dit ?… Je voudrais bien le savoir… Cela me paraît drôle d’Albert, parce qu’il est mon frère. Et tu as fait la sévère, dis ?

Importunée de ce babillage, Marianne essuya, ses larmes et se leva.

– C’est fort bien, ma chère ; il paraît que je te gène ! J’étais venue pour te consoler ; mais, si je t’ennuie.

– Tu ne m’ennuies pas, dit la pauvre enfant, qui éprouvait le besoin de ne pas se fâcher avec tout le monde.

Elle prit le bras d’Émmeline, et elles marchèrent ensemble dans l’allée qui circulait autour du bois : Marianne la tête penchée, toute chargée de tristesse ; l’autre, insinuante, curieuse, l’œil au guet !

– Tu ne m’ennuies pas, reprit Marianne ; mais tu vois, je suis si triste…

– Eh bien ! ma chère, c’est justement pour cela que je ne te quitte pas. Pauvre amie ! Mais enfin, est-ce qu’Albert a été inconvenant avec toi ?

– Oh ! non.

– Alors, je ne comprends pas ce qui peut t’affliger tant. Il t’a dit qu’il t’aimait ? Et toi, qu’as-tu répondu ? Est-ce que tu ne veux pas devenir Mme Brou ? Dame ! si ce n’est pas ton sentiment ?

– Et le sais-je ? Je voudrais ne pas penser à tout cela.

– Bon Dieu ! à quoi penses-tu donc, alors ? Est-ce possible que tu ne songes pas à te marier ?

– J’y pense vaguement, j’ai bien le temps !

– Quelle indifférence, ma chère tu ne fais rien comme les autres. Moi, je suis sûre que toutes les demoiselles y pensent, et même ne pensent qu’à cela. On dit le contraire, c’est reçu ; mais personne n’y croit. Et en effet, qu’avons-nous autre chose à faire, du moment que nous sommes des demoiselles à marier ?

– Moi, je trouve qu’il faut un peu le temps de se revoir, d’étudier, de connaître un peu la vie, de savoir enfin ce qu’on fait.

– Oh ! tu es philosophe, Mais cela t’est bien facile ; tu sais que tu es riche et que tu auras toujours assez de prétendants à choisir.

– Ce n’est pas cela, car si je pensais qu’on m’épouserait pour ma fortune, je ne me marierais jamais.

– On peut bien vous épouser pour vous-même, mademoiselle ; vous êtes assez charmante, de l’avis de tous. Pauvre Albert ! c’est lui qui n’y pensait pas d’abord, je l’ai bien vu. Puis c’est venu peu à peu, en te voyant tous les jours. Ainsi, tu l’as renvoyé… aux calendes grecques ?

– Non, je lui ai dit que je l’aimais bien, mais que je ne voulais pas ; que je n’osais pas encore…

– Que tu n’osais pas ? Est-elle drôle !

– C’est alors qu’il s’est écrié que je ne l’aimais pas, qu’il était perdu ! que sa vie était maudite !… Des folies !… Et il s’est enfui comme un homme désespéré.

– En te laissant toi-même désespérée… Mais alors rien n’est perdu, il me semble, et vous m’avez l’air de faire de la tragédie sans aucun motif. S’il ne s’agit que d’attendre, c’est justement ce qu’il faut, puisque Albert ne peut pas être docteur avant trois ans. Voyons, ma petite chatte, al-je, bien compris ?

– Je ne voudrais pas me décider encore.

– Mais tu ne dis pas non, hein ? Mon frère ne te déplaît pas ?

– Oh ! non, certes.

– Alors, dit Emmeline en embrassant sa cousine, il n’y a pas tant de mal. Veux-tu je le lui dise ?