Aller au contenu

Page:Leo - Marianne.djvu/41

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Oui, répondit Marianne avec empressement ; mais…

— Je ne l’engagerai pas, sois tranquille. Oh ! non. Moi, je serais charmée que tu devinsses ma belle-sœur ; mais tu dois rester libre, et si tu ne veux pas, il faudra bien qu’Albert se console. Chère petite ! au moins nous serons toujours amies, n’est-ce pas ?

Elles revinrent à la maison au bras l’une de l’autre.

Emmeline était parfaitement sincère dans ses démonstrations pour Marianne, comme dans sa demi-indifférence pour le sort d’Albert, et son désir de jouer un rôle amiable et utile dans ce petit drame familial. Marianne était une amie précieuse. Et d’abord une amie ! chose désirée de toutes les jeunes filles, car c’est une occupation et une contenance ; puis n’est-ce pas quelque chose de charmant, vous le savez, messieurs et mesdames, que deux jeunes filles enlacées au bras l’une de l’autre, se donnant la réplique, la pose, le moyen de faire valoir mutuellement les grâces de leur attitude, de leur sourire, de leur esprit et de leur tendresse, plusieurs d’entre elles s’embrassant gracieusement à la barbe des barbus, invite coquette. Ensuite Marianne n’était pas une amie ordinaire ; Emmeline lui devait la joie extrême de parcourir en calèche, au trot de deux beaux alezans, la ville de Poitiers, ni plus ni moins que les plus grandes dames de la ville, outre celle de voir accomplies les fantaisies de toilette qu’elle n’eût point obtenues de sa mère ni de son père, très-rigide sur la dépense. De plus, grâce à la présence de Mlle Aimont, la maison était sur un pied plus comfortable et plus luxueux en toutes choses, et c’était pour Emmeline le même attrait que pour l’anguille une crue d’eau. Elle était donc sincère dans ses démonstrations, et, bien qu’elle se flattât et se promit de rester, quoi qu’il arrivât, l’amie de Marianne, elle n’en désirait pas moins, s’il était possible, resserrer par les liens de famille cette amitié.

Pendant l’entretien des deux jeunes filles, Mme Brou avait arraché à son fils la confidence de son désespoir. L’indignation de cette mère fut immense. Quoi ! cette Marianne ! cette petite sotte ! Parce qu’elle avait de la fortune… et pas de cœur !… Oser refuser un tel garçon… Albert !… son fils !… Le fils du Dr Brou !… Un pareil assemblage de perfections. C’était incroyable !… Et il fallait que cette petite créature fut un monstre !… oui, un monstre d’ingratitude !… Après toutes les bontés qu’on avait eues pour cette pimbêche !… C’était épouvantable ! c’était odieux ! c’était insensé ! c’était infâme !

Elle en dit tant qu’elle blessa l’amour d’Albert. Il défendit avec feu la liberté de Marianne, et Mme Brou, attendrie, exaltée de tant de générosité, fondit en larmes. Ah ! son fils était un saint, un héros ! Et il ne fallait pas avoir plus de sentiment qu’une autruche pour ne pas l’aimer, que dis-je ? l’adorer !

Cependant Mme Brou elle-même trouva qu’il n’y avait pas lieu de désespérer et s’attacha à relever le courage d’Albert. Du moment où elle n’avait pas dit non… Chose étrange, Mme Brou n’en tenait pas moins à avoir pour belle-fille ce monstre d’ingratitude. Cette mère tendre ne craignait pas pour le bonheur de son fils et ne s’indignait pas de l’alliance de ce héros avec cette pimbêche. Il y avait là d’autres charmes, d’autres qualités, d’autres assurances, qui compensaient tout.

On ne se retrouva qu’au dîner, où l’air morne, accablé ou gourmé de tous, étonna et inquiéta fort le docteur, Albert étant sorti, les deux jeunes filles étant allées faire un tour de jardin, sur l’invitation de Mme Brou, celle-ci se hâta de raconter à son mari le forfait de Marianne et l’incroyable disgrâce d’Albert.

Le docteur fut, atterré. Quoi ! Il s’était trompé à ce point dans ses prévisions ? Quelle chute de tant de beaux rêves et quel embarras ! Car maintenant la vie commune entre Albert et Marianne devenait plus que difficile. Envoyer Albert immédiatement à Paris ? Il n’y avait guère que ce moyen. Mais… et la ville de Poitiers, à qui l’on devait compte d’un tel changement à des projets bien connus ?… Avouer sa disgrâce ou la faire deviner, ce qui revenait au même, jamais !… Chut ! les provinciaux, eux, savent de quel poids pèse l’opinion publique d’une localité ! Le docteur vraiment ne savait à quoi se résoudre : par-dessus tout, le regret de voir la richesse de sa pupille échapper à son fils le désolait. Mais n’y avait-il pas moyen d’espérer encore ? M. Brou n’écoutait qu’avec une demi-confiance les suggestions de sa femme à cet égard ; ignorant combien l’amour change momentanément les caractères, il se fiait plutôt au désespoir de son fils, qu’il savait porté à se défier de lui-même, quand vint Emmeline, qui s’était débarrassée, de Marianne et qui raconta d’un ton important son entretien avec sa cousine. Le docteur donna une petite tape sur la joue de sa fille, l’embrassa, et convint qu’Albert avait trop tôt pris la mouche.

— Je ne le savais pas si exalté, ajouta-t-il avec étonnement. Tout peut encore s’arranger.

Il recommanda vivement à sa femme de ne se mêler de rien, toujours au nom de la délicatesse que leur imposait son rôle de tuteur ; et puis, lui, il prit in petto le parti des