Page:Leo - Marianne.djvu/43

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Brou ; je n’aime pas que les gens de ma maison…

— Seulement pour voir, madame, nous viendrons vous dire des nouvelles.

— Ah ! oui, maman, laisse-les partir, dit Emmeline.

— Mais ton père et ton frère vont arriver, et il faut servir le diner…

— Grand Dieu ! s’écria-t-elle en regardant à sa montre, mais ils devraient être ici. Ils auront couru à cet incendie ! Ah ! ciel ! Eh bien ! allez, et, si vous voyez ces messieurs, dites-leur le revenir bien vite, que je les attends, que je serai sur les charbons ardents jusqu’à leur retour.

Les bonnes s’envolèrent avec la hâte de filles curieuses, tenues sévèrement, pour qui ce sinistre était une aubaine, et Mme Brou resta sur les charbons ardents dont elle avait parlé, ou elle parvint bientôt à mettre également ses deux compagnes, à force d’imaginer les dangers qu’avaient pu braver son fils et son mari. Marianne pourtant pensait que d’autres personnes étaient certainement dans cette situation et en frémissait d’angoisse. Le roulement du cabriolet s’était fait entendre, on se précipita dans la cour. Le docteur venait en effet de l’incendie ou plutôt il avait fait un détour pour juger de la gravité. C’était assez considérable. Le foyer s’était déclaré dans de mauvaises maisons de la rue de la Tranchée, habitées par des ouvriers.

Ces gens-là se logent dans des bicoques vermoulues, et puis ça ne prend aucun soin, aucune précaution !

— Ça brûlait comme de la paille. Les pompes arrivaient, mais trop tard.

— Tu n’as pas vu Albert ? s’écria Mme Brou.

— Non ; il n’est pas encore arrivé ? Ah !… Allons, sois donc tranquille ; il va revenir.

— Pensez-vous, mon oncle, demanda Marianne, qu’il y ait des personnes en danger ?

— Je ne sais pas, je n’ai pu arriver assez près, et je ne voulais pas rester de peur de vous inquiéter…

— Albert se sera exposé ! je le connais ! criait Mme Brou, Ah ! que je suis malheureuse ! Si c’était convenable, j’irais…

— J’irais moi-même plutôt, dit le père ; mais à quoi bon ? Il y a là beaucoup de monde et pourquoi veux-tu croire que ton fils particulièrement se soit exposé…

Il ne put être question de se mettre à table ; on sortit sur le perron, afin de voir plus tôt revenir Albert. Là se passèrent quelques minutes d’une angoisse, impitoyablement alimentée par les exclamations et les gémissements de Mme Brou ; tout à coup débouchèrent les bonnes effarées.

— Grand Dieu ! allez-y, monsieur, crièrent-elles, faites-le descendre ; il faut qu’il veuille se périr. Tout le monde dit qu’il n’en reviendra pas !

— Qui donc, imbéciles hurla le docteur.

— M. Albert ! Il est monté sur le toit et les flammes sortent, que c’est horrible !

Mme Brou se trouva mal, et le docteur la laissant aux soins des jeunes filles, courut avec des jambes de jeune homme vers le lieu où son fils était en danger.

— Albert ! Albert ! disait Marianne en sanglottant.

En la voyant pleurer, Mme Brou se releva un instant et d’un air terrible :

— Il est bien temps… C’est vous !… C’est vous qui êtes cause !…

Puis elle retomba en poussant un cri perçant :

— Mon fils ! mon fils ! Albert !

Emmeline, elle aussi, pleurait et tremblait comme une feuille au vent. Un épouvantable quart d’heure se passa.

Au bout de ce temps, une voiture parut à l’angle qui bornait la vue du côté de Blossec. Une tête d’homme, agitant un mouchoir blanc, se penchait à la portière. C’était lui ! c’était Albert ! La voiture s’arrêta devant la grille, et ce fut le docteur qui descendit le premier, soutenant son fils, Albert était pâle et avait la main entourée de linges…

Ce jour-là, Mme Brou franchit les convenances, je veux dire la grille du petit hôtel, sans châle ni chapeau, et serra son fils dans ses bras avec des démonstrations folles, au milieu desquelles elle cria :

— On n’a pas le droit d’être héroïque quand on a sa mère !

Emmeline à son tour se jeta au cou de son frère, et Marianne vint aussi embrasser Albert ; puis, au milieu de tant de déclamations et de cris, elle ne dit rien, mais son vif serrement de main et son regard éloquent comptèrent pour le jeune homme plus que tout le reste.

Entièrement oublié pendant cette scène, le docteur promenait sur chacun des acteurs, et sur deux tout, son regard observateur et sagace.

— Assez d’épanchements, dit-il tout à coup. Albert n’a maintenant qu’une chose à faire se mettre au lit et se bien soigner, Dépêchons-nous.

— Mais non, mon père, s’écria le jeune homme ; je ne suis nullement malade. Je suis guéri, je n’ai rien ! Je vais même faire honneur au diner…

— Tu vas te coucher, répéta le docteur d’un ton péremptoire. Tu me permettras peut-être de juger de ton état et d’être ton médecin ?

Étonné, le jeune homme dut céder. Il monta, suivi de sa mère, et le docteur, avec