les jeunes filles, rentra dans la salle à manger, où il se promena de long en large d’un air préoccupé.
— Qu’a donc Albert, père ? demanda Emmeline.
— Il a, ma fille, qu’il veut braver la douleur comme il a bravé la mort, et cela pour ne pas vous inquiéter ; mais il a grand besoin de soins, car il a fait une chute grave. Ne dis rien de cela à ta mère, elle est déjà trop impressionnée ; mais pour vous, mes anges, qui serez plus raisonnables, ayez bien soin de lui quand je ne serai pas là, et faites rigoureusement exécuter mes prescriptions. Il ne faut pas que ce garçon-là devienne poitrinaire.
Au dîner, il raconta l’épisode, émouvant, dont Albert, dit-il, avait été le héros. Une vieille femme, restée dans les combles d’une des maisons incendiées, se montrait à une des lucarnes et jetait ces cris d’horreur et de désespoir que la peur d’une mort horrible arrache à la créature vivante. Mais on hésitait devant la grandeur du péril ; car, la maison où elle se trouvait n’était qu’un assemblage de bois et de platras, que déjà tordait l’incendie, et qui semblait devoir à chaque instant s’abimer dans le brasier. Les pompiers, arrivés trop tard, étalent absorbés par le service de leurs machines. Albert alors, et quelques autres jeunes gens, avaient dressé une échelle dans le seul endroit où elle put s’appliquer encore, et qui malheureusement était assez loin de la lucarne. Puis Albert à leur tête s’était risqué sur le toit brulant, qui menaçait de s’effondrer sous leurs pieds. Il atteignit la lucarne, enleva la malheureuse au milieu de tourbillons de flammes et des fumée, la remit à un de ses compagnons, et les suivit sur l’échelle, ayant déjà reçu une grave blessure à la main. Dans la descente, un des échelons que léchaient les flammes se rompit, et Albert fut précipité d’une assez grande hauteur.
— C’est cette chute qui m’inquiète, ajouta le docteur, surtout dans l’état de santé où se trouve Albert. La mélancolie est une fâcheuse prédisposition et le plus grand auxiliaire des maladies. Il a la fièvre. Je crains qu’une congestion au poumon ait pu se produire. Il avait la respiration oppressée depuis quelques jours.
— Donnez-moi vos instructions, mon oncle, dit Marianne d’un ton à la fois mélancolique et résolu, et permettez-moi d’être la garde-malade d’Albert.
Le docteur la contempla avec attendrissement.
— Ce serait avec bonheur, ma chère enfant, lui dit-il ; car je suis sûr que… vous le guéririez ! Mais pourtant… non ! cela ne m’est pas permis.
— Je vous en prie, dit Marianne avec des larmes dans les yeux ; vous ne pouvez pas me refuser.
— Je serais trop cruel pour mon fils en vous interdisant de joindre, vos soins à ceux de votre tante et de votre cousine ; mais… Tenez, je laisse Mme Brou arbitre de votre intervention, sachant bien que je puis me. fier à elle en tout ceci.
Assurément il le pouvait. Dès le soir même, Marianne était installée au chevet d’Albert. Ce n’était pas que Mme Brou y eut consenti. Non, certes ; car ce n’était pas convenable. Mais Marianne avait tant insisté pour voir son cousin, que Mme Brou lui avait permis d’entrer avec elle-même ; puis Mme Brou était sortie pour faire une tisane. Ce n’était pas sa faute si elle seule savait bien faire les tisanes, et ne devait-elle pas s’occuper du cher malade avant tout ? Elle avait d’ailleurs laissé Emmeline en tiers. Mais Emmeline, que sa mère avait chargée de plusieurs choses à faire ce soir même, était sortie à son tour. Innocence de jeune fille ! Peut-on deviner qu’un tête-à-tête permis au jardin ou au salon soit défendu dans une chambre ?
Restée seule ainsi avec Albert, Marianne s’était aussitôt avancée vers lui, et, avec un insouci plus grand encore des convenances, elle avait pris la main du jeune homme. Elle ne parlait pas encore, mais quelle agitation révélaient ses yeux à demi baissés, ses joues colorées, son sein oppressé ! Albert la regardait avec une angoise mêlée d’ivresse. Que venait-elle donc ainsi lui apporter ?
— Cher Albert ! dit-elle enfin, cher Albert…
Sa voix s’arrêta ; elle pressa longuement la main de son cousin, et se laissa tomber sur la chaise qui était au chevet du lit.
— Que vous êtes bonne, Marianne lui dit-il.
Et il retenait en soupirant la main chérie dans les siennes.
Oh ! c’est vous qui êtes bon, vous qui exposez votre vie pour sauver celle des autres…
— Bah ! je n’ai rien ou presque rien fait. Il est si naturel de courir au secours de ceux qui se brûlent ou qui se noient !
— Oui, mais c’est pourtant beau. Ah ! si vous n’en étiez pas revenu… Albert !…
— Eh bien ! ce n’aurait peut-être pas été un grand malheur.
— Ne dites pas cela. Qui donc s’en serait consolé ?
Il la regarda en soupirant :
— Vous la première ici, Marianne, puisque vous ne m’aimez pas.
— Albert ! moi je ne vous aime pas ! Ah ! si vous saviez ce que j’ai souffert quand j’ai