Page:Leo - Marianne.djvu/81

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mais ne pensez-vous pas… qu’il a pourtant fallu que je l’aie bien aimé ?…

Et tout à coup, impétueusement, les mains jointes, le regard ardent :

— Vous l’avez vu, bien sûr, vous l’avez vu ! Parlez-moi de lui, dites-moi ce qu’il fait, s’il parait malheureux, s’il est bien pâle… Que vous a-t-il dit ?…

Marianne restait silencieuse, presque épouvantée. Dire ce qu’elle pensait de ce misérable, prouver à Henriette qu’elle n’avait été que trompée, jamais aimée… Serait-ce la tuer ou la guérir ? Elle n’osait parler, elle ne savait que dire, et s’indignait et s’étonnait de la persistance d’un tel amour.

— Vous ne voulez pas me répondre, dit Henriette. Oh ! vous avez raison sans doute, et je vous offense en vous demandant cela ; mais si vous saviez ce que je souffre !…

— Vous ne m’offensez pas, je n’y songe pas même, je ne puis penser qu’à vous ; seulement je ne puis comprendre que vous l’aimiez encore.

— Alors, si cela ne vous offense pas, dites-moi seulement si vous l’avez vu.

— Je l’ai vu, il y a quelques jours, un instant…

— Et quel air avait-il ?

— Oh ! maintenant que je sais… c’est épouvantable. Il avait son air ordinaire et même dégagé…

— Vous savez bien, mademoiselle, qu’il faut feindre dans le monde. Est-ce qu’il peut ne pas souffrir, voyons ?

— Il devait vous écrire, venir vous voir, s’occuper de vous… Ne le défendez pas.

— Ah ! oui, sans doute… allez, je ne le sais que trop… Mais ses parents… qui sait s’il ne travaille pas à gagner leur cœur ?

— Ah ! fit Marianne en détournant la tête avec une expression telle qu’Henriette y vit une conviction profonde. Elle regarda fixement Marianne ; puis une lueur brilla dans ses yeux, qui semblèrent se creuser encore.

— Vous êtes bonne, vous, pourtant… pourquoi donc voulez-vous absolument le condamner ? Qu’en savez-vous ? Il ne vous a pourtant pas fait la cour, lui, comme les autres ? Vous voyez bien qu’il m’aimait.

Marianne avait baissé les yeux à terre et elle ne répondait pas.

— Vous ne répondez pas ? Il vous a fait la cour, lui !… ce n’est pas possible ! Vous me le diriez, que je ne le croirais pas.

La jeune fille continuait de se taire, et ce silence était plus affirmatif que toute parole. Henriette jeta un cri.

— Non, je ne veux pas le croire ! Mais pourquoi vous taisez-vous comme cela ? Vous Voyez bien que vous me faîtes mourir… Si c’est vrai, alors dites-le.

— Henriette, il ne faut plus vous occuper de cet homme ; il faut vivre seulement pour… Je vous aiderai, vous ne serez point abandonnée…… Henriette, ah ! pauvre malheureuse !

Bien malheureuse en effet ; elle se trouvait mal et Marianne dut lui donner des soins. Quand elle eut retrouvé quelque force, elle pleura abondamment ; puis, dans une exaltation qui ressemblait au délire, des paroles et des soupirs s’exhalèrent de ses lèvres :

— Infâme ! oui, c’est bien infâme ! tromper à ce point ! Je ne croyais pas que ce fût possible ! Mettre ensemble, dans sa bouche, des baisers et des mensonges ! Ah !… mais s’il ne m’a pas aimée, il n’a donc fait que me salir… Oh !… Oh !… c’est horrible ! Et j’ai pu me donner à ce monstre, moi ! qui étais fière et chaste ! Oui, je l’étais. Mais il me disait : « Je t’aime ! je passe les nuits à t’appeler ! Je suis trop malheureux de l’aimer tant ! Lui ! malheureux par moi quand j’aurais donné mon sang pour lui avec joie ! Est-ce qu’on peut refuser l’homme qu’on aime, quand il vous dit qu’il est malheureux ? Mais non ! qu’ils me jettent la pierre, eux, qu’est-ce que ça me fait ? Je l’aimais, je le croyais. Elles se croient bien fortes, celles qui se gardent jusqu’à l’autel, et moi je leur dis que ce sont des égoïstes, des sans-cœur ! Se défier de l’homme qu’on aime ! Alors c’est qu’on ne l’aime pas… Oui, je lui ai donné plus que ma vie. J’étais fière, vous le savez. Il me disait : Puisque tu seras ma femme ! N’est-ce pas comme si tu l’étais déjà ? Dès que je serai substitut, je t’épouserai. Mon père ne voudra pas de sommations, il consentira. Moi, d’abord je m’étais dit : C’est vrai. Être une dame, sera-ce beau ! Mais après je n’aimais que lui. Ah ! si du moins il m’avait aimée ! Je ne me plaindrais pas de souffrir. Mais ce qui est pire que tout…

Elle s’arrêta brusquement et regardant en face Mlle Aimont :

— Ayez pitié de moi ; vous le voyez, je ne suis pas maîtresse de mon pauvre cœur. Quand vous serez partie, je voudrai douter encore. Dites-moi en paroles ce que votre air m’a dit. Répétez-moi que c’est vrai, qu’il vous faisait la cour pendant qu’il me jurait à moi… Dites-le tout haut, que je l’entende, parce que vous, je vous croirai…

— C’est vrai, Henriette ; il était près de moi des plus assidus. Il ne m’a pas demandée en mariage, parce que je l’ai toujours découragé ; mais sa manière d’être vis-à-vis de moi ne me laissait pas de doute, et même il m’avait inspiré le regret de le rendre… malheureux. Aussi, quand j’ai appris… me suis-je dit : C’est un monstre.

— Oui, répéta l’ouvrière d’une voix éteinte, c’est un monstre ! Ils sont tous ainsi ! mais je le croyais, lui, si différent des au-