Page:Leo - Marie - la Lorraine.djvu/27

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tête, ou quand les autres prétendants la regardaient.

Ces deux autres, à coup sûr, n’avaient pas si bonne mine que Louis Brésy ; ils n’avaient pas surtout son air d’intelligence et de bonté. L’un, Marcelin Varnaud, était un homme de trente ans ; rougeaud, faraud, habillé à la mode d’un beau de village, cravate de soie bleue, gilet à fleurs rouges, boucles d’oreilles, et avec ça l’air aussi content de lui-même qu’un sot peut l’avoir. Il y avait bien dix ans qu’il faisait la cour aux filles, plutôt pour le mauvais motif que pour le bon, et il s’était mal conduit vis-à-vis de plus d’une, ce qui aurait dû empêcher Mathurin Chazelles de vouloir lui donner sa fille ; car un trompeur ne peut faire un bon mari. Mais on n’a point encore assez le vrai sentiment de l’honnêteté pour traiter ces gens-là comme ils le méritent. Puis, Marcelin Varnaud avait un joli bien tout venu, depuis la mort de son père, et maître Chazelles, qui avait tant peiné pour avoir le sien, trouvait la chose fort à considérer. En outre, Varnaud le flattait sans cesse, et lui demandait conseil pour toutes ses cultures. On a beau être un bon père et un homme juste, la vanité vous chatouille toujours et souvent vous fait voir les choses différemment qu’elles ne sont.

Pour Bruckner, dit l’Allemand, c’était un gros garçon de 26 à 27 ans, rose et blanc comme un cochon de lait, et le poil quasi pareil, poil de filasse comme on dit. Il n’avait pas l’air méchant, mais un peu bête, et pourtant joliment rusé avec cela ; sans compter qu’il ne paraissait guère moins content de sa personne que ne l’était Marcelin Varnaud. Depuis cinq ans, Bruckner était venu d’Allemagne se fixer dans le pays, où il avait d’abord fait le commerce du petit bétail et des volailles, puis ensuite des bœufs et des chevaux, de tout un peu, trafiquant de ce qui lui tombait sous la main, pourvu qu’il crût y gagner, et gagnant souvent, parce qu’il mettait dans son commerce autant de prudence que d’activité. Il était en outre d’une grande économie, et vivait de pain sec et d’eau toute la semaine, se saoûlant seulement le dimanche. C’était un homme qui avait