Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/107

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Lucie marchait tout oppressée. À mi-chemin, elle s’étonna d’être déjà lasse, elle que la promenade ne fatiguait jamais. Elle sentait dans sa poitrine un poids énorme, comme si son cœur gonflé fût devenu lourd à porter. Elle s’avouait bien qu’elle n’était plus la même, qu’il s’était produit en elle un grand changement, et que c’en était fait de cette enfance heureuse poussée jusqu’à vingt ans. Tout ce qu’elle avait appris et pensé depuis quelques jours l’agitait profondément ; elle songeait aussi au chagrin de son amie Gène, et, de temps en temps, comme suffoquée, elle s’arrêtait afin de reprendre haleine.

Puis elle regardait autour d’elle en disant : Que c’est beau ! Le ciel éclatait de splendeurs ; de petites vapeurs s’élevaient des champs ; on entendait toujours la musique des cloches, dont les notes joyeuses se croisaient dans l’air avec des bourdonnements d’abeilles et des chants d’oiseaux. Les buissons étaient blancs de fleurs ; tout était ceint d’auréoles, et il y avait comme un grand sourire épanoui sur la face de la nature.

Puis les cloches se turent, et l’on entendit bientôt une harmonie plus ténue qui venait se rapprochant. Lucie reconnut les sons du violon jouant un air de danse villageoise. Un instant après se déroulait au haut de la plaine une longue file de chapeaux noirs et de cornettes blanches, d’habits bleus et de tabliers éclatants. C’était la noce de Jeannette Vanneau qui revenait de l’église et retournait au hameau des Tubleries. Après le violon venait la mayenne, bouquet énorme qu’on porte devant les mariés ; et de cette moyenne, du manche du violon, du haut de chaque cornette, rubans rouges et bleus flottaient au vent. Ils marchaient tous en cadence, d’un pas joyeux et rapide, les deux époux en tôle, se donnant la main. La mariée, vêtue de bleu et de blanc, avait un bouquet sur le sein,