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Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/108

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attaché par une ceinture rouge. Son regard était doux, son air modeste et heureux ; le marié la regardait souvent, et sa figure aux traits rudes était embellie par un sourire.

Ils n’ont que leurs bras ! répéta Lucie, en se rappelant ce qu’avait dit la Touron, et pourtant, comme ils ont confiance et comme ils sont heureux ! Quoiqu’ils n’aient que leurs bras, ils n’en élèveront pas moins de beaux enfants joufflus, dotés du même héritage. Ainsi, toute songeuse et tout émue, elle regarda cette fête du mariage humain passer au milieu des champs féconds, des bourgeons ouverts et des nids commencés, dans l’atmosphère enivrante des premiers jours d’avril.

Et quand le cortége eut défilé devant elle, et qu’il s’éloigna, son cœur se remplit de pensées tumultueuses. Entre la destinée de Jeannette Vanneau et celle d’Aurélie, si différentes pourtant, la sienne à elle était un abîme. Créée comme les autres pour nouer avec ses semblables le tissu de joies et de douleurs qui fait la vie humaine, elle resterait seule pourtant, inoccupée au milieu de la foule active des épouses et des mères. Au banquet de la vie elle se tiendrait debout, en arrière, comme un fantôme qui ne peut toucher aux mets des vivants. Et ses années, ses jours, la foule innombrable de ses heures s’écouleraient tous pareils, sans autre tâche que celle d’exister. Ah ! s’écria-t-elle du fond de son âme, je serais plus heureuse de mourir, car le mal de la mort est tout entier dans l’agonie, et qu’est-ce qu’une pareille vie, sinon une agonie de quarante ou cinquante ans !

Elle marchait lentement, les yeux voilés, regardant sans les voir les buissons d’aubépine dont les feuilles vernies reluisaient au soleil. Les sons lointains du violon lui faisaient mal aux nerfs.

Elle se dit ensuite : Mais je n’ai que vingt ans encore, et l’avenir seul a le secret de mon sort. Oui ; mais l’ave-