Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/140

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mam’zelle Lucie, les bourgeois ont raison : une main comme ça (il montrait sa main rude et salie par la terre), une main comme ça ne peut pas en toucher une propre et mignonne comme la vôtre.

— Me prenez-vous pour une paresseuse ? dit-elle en riant, quoiqu’elle fût émue aussi de ce débat. Cette main-là, Michel, n’est pas demoiselle du tout. Comme la vôtre, elle a beaucoup travaillé depuis ce matin.

En disant cela, elle tendit la main de nouveau.

Michel s’en saisit avec transport, et, tombant sur ses genoux, les yeux brillants d’une flamme qui pénétra un instant le cœur de la jeune fille.

— Oh ! vous êtes plus sainte que la sainte Vierge, s’écria-t-il, et plus belle et plus…

Il se tut, mais l’expression de ses traits et toute son attitude révélaient une telle adoration, que Lucie, éperdue, lui arracha sa main en s’efforçant de sourire et en balbutiant : Oh ! vous êtes fou, Michel !

Et le quittant, elle se mit à marcher dans l’allée jusqu’au berceau de lilas et de chèvrefeuille, où elle se jeta sur un banc, tout étourdie, ne pouvant croire à ce qui arrivait.

Jamais dans les yeux d’aucun homme Lucie n’avait vu cette flamme ardente qui, sans qu’elle l’eût permis, l’avait un instant mordue au cœur. Elle ignorait les phénomènes de l’électricité morale comme ceux de la passion physique. En dehors des habitudes et des impressions d’une vie monotone et simple, elle n’avait de tout le reste que des aperceptions ou des rêveries. Aussi eut-elle peur de ce qu’elle avait éprouvé.

Puis elle se demanda quel pouvait être ce Michel si enthousiaste. Serait-ce de sa part audace et hardiesse ? Non, elle ne le crut pas. Elle se dit qu’il avait le caractère étrange et porté à l’exaltation. Car, pouvait-on suppo-