Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/202

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Mourillon poussant un cri de rage, se leva tout à coup :

— Faut que je le tue, Michel ! Veux-tu m’aider ?

— Écoutez, bourgeois, raisonnons un peu la chose. Le tuer, je ne dis pas qu’il ne l’a pas mérité ; mais ça vous ferait aller aux galères, voyez-vous ? et vot’ famille, tout du coup, en serait perdue et ruinée. Non ! non ! vaut mieux l’attaquer en justice, et montrer à tout le monde comme quoi ce beau monsieur-là n’est qu’un sale brigand.

Le malheureux père se rejeta par terre en poussant des cris, comme saisi d’un nouvel accès de désespoir. Cette fois, ni les raisonnements ni les supplications de Michel n’en purent tirer une parole, pas même un signe d’intelligence. Il restait là, pantelant, gémissant, insensible à toute chose extérieure, et de temps à autre exhalant des plaintes si profondes qu’elles pénétraient Michel jusqu’à la moelle des os, tant qu’enfin, n’y pouvant plus tenir, le jeune homme se leva pour aller chercher Lisa et renvoyer Marie près de son père.

Enfermés dans le cercle des occupations matérielles et rudement élevés, enfants immédiats de la terre, les paysans en général ont l’imagination lente et la sensibilité engourdie. Mais quand la douleur ou la joie les ont enfin saisis, c’est tout entiers qu’elles les possèdent, et pour eux toute préoccupation étrangère de honte, de crainte, d’intérêt ou de pudeur s’anéantit. La douleur s’étale dans toute sa force, la joie s’exhale dans toute sa naïveté. Regardez alors : voici bien l’homme aux prises avec la destinée, l’homme sans masque et sans vernis, chez qui le doute n’a rien ébranlé, auquel n’a point touché cette lime rongeuse que nous appelons décorum ou convenance.

Tel à peu près Michel avait laissé le père, telle il trouva la fille, assise par terre au fond de l’ouche, la tête dans ses mains, sourde aux reproches aussi bien qu’aux exhortations de sa sœur. Michel cependant parvint à lui