Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/203

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persuader de le suivre, et, la prenant par la main, il l’emmena.

Comme ils arrivaient par les prés à la porte de la mère Françoise, la famille Bertin, revenant du bal, passait dans le chemin. En entendant la voix de Lucie, Michel soupira. Il avait espéré la revoir, lui apprendre ce qui s’était passé… l’occasion si rare de se trouver avec elle au milieu de l’égalité d’un bal, elle était perdue, et peut-être ne reviendrait jamais. Cependant, contenant son regret, il ouvrit la porte de sa maison, et, laissant Lisa dehors, entra pour préparer sa mère à la recevoir. Il y eut plus d’une exclamation au dedans de la maisonnette. L’indulgence et la pitié ne sont pas encore des sentiments vulgaires ; mais enfin la Françoise vint, et d’une voix sans rudesse : Entre, Lisa ! — Entre ! ma pauvre fille, dit Michel doucement en lui prenant la main. Il la fit asseoir près du foyer sur la huche, lui offrit à boire et sortit quelque temps après. Car il se disait : Mam’zelle Lucie est inquiète ; elle voudra savoir ce qui est arrivé, et peut-être viendra-t-elle au jardin ?

Mais le jardin était vide, et une lumière brillait dans la chambre de Mlle Bertin. Le jeune paysan s’assit à l’entrée du bosquet et regarda pensif cette lumière. Il se rappelait toutes les marques d’estime et d’amitié que lui avait données Lucie, et retrouvait de souvenir l’émotion qui l’avait bouleversé le soir même, quand elle lui avait serré la main. Cependant, il ne se faisait point illusion, et, peu habile dans l’analyse des sentiments, il voyait un abîme entre l’amitié de Mlle Bertin et son amour qu’il n’espérait pas. Mais il l’aimait avec délices. Elle était devenue pour lui le mot de cette aspiration inquiète et indéfinie qui gît plus ou moins latente chez tout homme, et qui, grâce à la force de son intelligence et à la vivacité de ses impressions, s’était développée en lui d’une manière