Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vilaine menteuse ! s’écria la mère, n’y a pas un nuage au ciel. Retourne aux champs tout d’ suite, et dare dare ! On n’a pas besoin de toi par ici.

M. Gavel se pencha vers la fenêtre :

— Mais, dit-il, ne semble-t-il pas en effet que le temps menace ? Nous pourrions avoir de la pluie.

— Pas le moins du monde, répondit à demi voix et en souriant M. Bourdon. Cependant il se tourna vers la Mourillon : Ne grondez donc pas comme ça cette petite, voyez-vous, c’est notre chambrière de l’hiver passé. Elle a voulu nous témoigner son zèle et son adresse une fois de plus. Allons, petite femme de chambre des moutons, viens me donner une assiette.

— Je vas vous en donner une, moi, monsieur, fit la Mourillon en arrachant l’assiette des mains de sa fille. Revenir des champs comme ça, en plein jour ! Faut que cette petite ait le diable au corps !

— Madame Mourillon, voulez-vous aussi me donner une assiette, dit l’ingénieur ? Et comme elle se penchait vers lui : Vous avez tort de tant gronder Lisa. On a besoin d’elle, en effet, car tout à l’heure, Marie étant absente, M. Bourdon a dû se lever…

La Mourillon jeta sur M. Gavel un regard dur et perçant et ne lui répondit pas. Cette femme, qui avait quarante ans à peine, était déjà vieille. Une peau jaunie se collait sur ses os, au point qu’endormie elle devait ressembler à un cadavre. Mais au fond de l’orbite desséché, son œil noir brillait d’une ardeur fébrile, et toute sa vie semblait concentrée dans ses yeux. Pendant vingt années d’un travail opiniâtre, sept enfants robustes avaient tari sa séve, et le dernier pendait encore à sa mamelle épuisée. Elle reporta ses regards courroucés sur Lisa, que M. Bourdon avait attirée près de lui, et, bien que par déférence pour le maître elle hésitât un peu, de nouveau elle élevait la