Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/285

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

yeux humides et brillants, on les eût pris seulement pour des amoureux de science.

Mais en présence l’un de l’autre, quoiqu’ils fussent très-heureux, une atmosphère étouffante les oppressait. Au moindre mot, sur une inflexion de voix, pour un rien, leurs paupières s’abaissaient, et une rougeur plus vive montait jusqu’à leurs fronts. La leçon durait environ deux heures, et ils se séparaient en disant : À dimanche prochain ! Mais tous les soirs ils se rencontraient encore dans le bosquet, à la nuit tombante. À peine Mlle Bertin s’y était-elle assise que, dans le passage de la haie, un froissement se faisait entendre, et que Michel paraissait. Il venait toujours demander quelque explication oubliée. Lucie la donnait quand elle pouvait ; sinon, en l’absence du livre, elle avouait son ignorance, car la gentille institutrice n’avait rien de pédant. On eût dit même, en ces occasions, qu’elle était charmée d’être l’égale de son écolier.

Ils causaient ensuite d’eux-mêmes, de leurs projets, de leurs incertitudes ou de leurs ennuis, et pénétraient avec ce charme de curiosité, qui est l’essence de l’amour, dans la pensée l’un de l’autre. Lucie reconnaissait de plus en plus que rien d’humain n’était étranger à Michel, et qu’il avait en outre ce que n’ont pas tous les hommes : une ardente bonne volonté, conduite par un sentiment pur. C’était lui-même souvent qui l’amenait à de nouvelles idées, ou qui lui fournissait de nouvelles observations. Elle distinguait à merveille, sous la naïveté du langage, l’élévation de la pensée, et ce langage, que d’ailleurs elle ne songeait pas à critiquer, elle observa bientôt qu’il s’épurait d’une manière sensible. Michel étudiait avec tant d’ardeur ! En dehors des leçons, il se rappelait si exactement les paroles et les inflexions de son maître ! Chaque soir, après sa journée de travail, il lisait près d’une heure.