— Je vous ai surpris, dit Lucie d’une voix émue. Vous n’êtes donc pas en journée aujourd’hui ?
— Si vous aviez su me trouver ici, vous n’y auriez point passé, n’est-ce pas ? dit-il en tremblant d’émotion.
— Je ne suis pas fâchée de vous rencontrer, répondit-elle.
— Ah vrai ? s’écria-t-il amèrement. Il semblait partagé entre la colère et la tendresse, et comme il tenait toujours sa pioche, il la lança d’un grand coup dans la terre, où elle s’enfonça.
— J’aurais dû vous dire plus clairement, puisque vous en doutez, reprit Lucie, que je suis heureuse de vous rencontrer.
— Mon Dieu, s’écria-t-il en venant tout près d’elle, dites-vous ça bien sérieusement ? Alors pourquoi fuyez-vous de moi depuis si longtemps, mam’zelle Lucie ? J’ai été trop malheureux ! Vous ne le saviez donc pas ?
— Si, murmura-t-elle, je le savais ! mais je n’ai point agi par ma volonté !
— Ah ! Qui donc me veut tant de mal ? Qu’ai-je fait ? Est-ce votre père ? Est-ce Mme Bertin qui vous défend de me parler ? Et pourquoi ? C’est donc fierté ?…
En faisant cette question, son regard interrogeait anxieusement la jeune fille, et il semblait craindre autre chose qu’il ne disait pas.
— Ma mère, dit Lucie, croit avoir de bonnes raisons. Que puis-je faire ? Me conseillerez-vous de lui répondre : Je veux, quand elle me dit : Je ne veux pas ?
Il soupira profondément.
— Non, vous ne pouvez pas faire ça, mam’zelle Lucie. Et pourtant… pourtant… c’est bien injuste et bien dur. Oui, c’est injuste, répéta-t-il avec force, vous le savez bien ; pourquoi ne lui dites-vous pas ?
— Je le lui ai dit, Michel ; mais sa volonté n’a pas changé.