Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/374

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— C’est clair ! dit le père. Aussi je suis bien sot d’aller faire à une fille une pareille question ! Mais à présent, dis-moi, veux-tu te marier avec M. Gorin ?

— Non ! non certainement ! s’écria-t-elle.

— Diable ! c’est encore plus clair. Pourtant, réfléchis un peu, ma chère petite. Tu sais ce que nous avons, rien du tout. Gorin n’est pas un jeune freluquet, galant et pomponné, j’en conviens ; il ne sait rien dire d’agréable ; il est sot, grossier, rapace, entêté comme une mule, vaniteux comme un paon ; mais, du reste, ce n’est pas un mauvais diable, et puis, c’est un homme habile : songe donc, il a déjà ramassé plus de soixante mille francs. Comment fait-il ? Je voudrais bien le savoir ; mais le diable m’emporte si j’y comprends rien. Enfin, c’est comme cela. Tu vois que ça mérite réflexion. Penses-y bien jusqu’à ce soir. Gorin doit venir chercher la réponse. Ma foi, si tu dis non, il sera bien attrapé.

— Il s’imaginait donc me combler de joie ? demanda fièrement Lucie.

— Parbleu ! il voulait que je disse oui tout de suite, comme si tu n’avais pas ton mot à donner là dedans. Et puis, il m’a compté tout ce qu’il avait en terres, en argent, en bœufs et en espérances. Et il m’a répété deux ou trois fois : — Voyez-vous, avec moi, votre fille aura toujours du pain sur la planche. Je comprends bien qu’il te déplaise, ma pauvre enfant ; mais il faut considérer l’avenir.

Elle se mit à rire.

— En quoi l’avenir serait-il moins triste avec lui que le présent ? demanda-t-elle.

— Tu feras comme il te plaira, ma chère petite, reprit le père. Je donnerais de mon sang pour te procurer un mari digne de toi ; mais ça n’y ferait rien. J’ai peur que tu ne restes vieille fille, et ça serait peut-être encore plus triste que d’épouser Gorin. Qu’en dis-tu ?