Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/375

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Non, répondit Lucie. Mais qui sait ? Peut-être aurai-je un mari bon et aimable quelque jour. Alors mon cher père serait heureux, n’est-ce pas ? dit-elle en le regardant avec câlinerie.

— Ma foi, oui ! et si tu peux faire ce coup-là, je t’en serai bien reconnaissant. Allons, va causer avec ta mère, et n’oublie pas de réfléchir un peu jusqu’à ce soir.

Mme Bertin était fort embarrassée. Elle fit bien quelques phrases sur le pouvoir des charmes de Lucie, et sur la flamme de Gorin ; elle essaya bien de poétiser un peu ce dernier en le nommant un campagnard naïf et sincère, toutefois elle ne trouvait pas son affaire là dedans. Il n’y avait ni obstacles, ni persécutions, ni séductions d’aucune sorte, ni aucun prétexte à quoi que ce fût de romanesque et d’idéal. Mme Bertin (nous dévoilons ici ses plus secrètes pensées) avait mentalement fiancé Lucie avec son cousin Émile. Ils étaient faits l’un pour l’autre, à son avis ; du moins, la richesse et le rang d’Émile étaient faits pour convenir à la fille de Mme Bertin, qui n’oubliait jamais, comme tant d’autres romanciers, de gratifier négligemment ses héros des faveurs de la fortune. Ils n’y tenaient pas, certes, mais ils ne méritaient pas pour cela d’en être privés.

Comme, de la part des deux jeunes gens, aucun signe de préférence exclusive n’avait justifié cet arrangement secret, Mme Bertin le gardait enfoui au plus profond de ses rêveries. Elle ne put s’empêcher pourtant de s’écrier à cette occasion :

— Que dirait ton cousin de ce mariage ?

— Émile ? répliqua Lucie, assurément il se moquerait de moi !

C’était bien gai, tant que Mme Bertin ne trouva rien à dire. Un peu plus tard, elle reprit :

— Ma pauvre enfant, dans la position de fortune où