Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/50

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ne craignent pas d’employer son temps. Et ma robe jaune, vous la connaissez bien, ma robe jaune d’alépine, Lucie l’a défaite, lavée et repassée, ainsi que la robe de mérinos vert de Clarisse et la sienne, et à présent les voilà neuves toutes les trois, prêtes à mettre et aussi bien faites que si elles sortaient de chez la couturière. Oui, cette petite fait tout ce qu’elle veut de ses mains. Elle ne tient pas de moi. Hélas ! j’avais été élevée pour une autre fortune ! Les décrets de la Providence…

— Lucie ! interrompit M. Bertin qui n’écoutait jamais les tirades de sa femme, savez-vous combien elle a d’états ? Il se mit à compter sur ses doigts avec un plaisir d’enfant : cuisinière, modiste, repasseuse, couturière, tailleur, ménagère, jardinière, sept, sans compter ceux que j’oublie.

— C’est un ange ! dit Mlle  Boc. Mais où est-elle donc ?

— Ah ! c’est son heure de sortie, répondit M. Bertin. Quand on n’y voit plus à travailler, comme ça, entre chien et loup, elle va faire quelque visite dans le bourg, ou bien une promenade dans les environs.

Lucie avait quitté la maison, parce qu’elle se sentait mal à l’aise, et parce qu’il s’agitait en elle des pensées qui avaient besoin de solitude.

Elle avait le cœur serré, la tête en feu. Qu’ai-je donc ? se demanda-t-elle. Elle ne le sentait qu’assez confusément, et, toute songeuse, le front penché, elle descendit à petits pas jusqu’au fond de la prairie, oh l’herbe humide mouillait, sans qu’elle y prît garde, ses petits pieds mal chaussés.

Jusqu’à ce jour, bien qu’elle eût vingt ans, Lucie n’avait pas sondé sa destinée. Simple de cœur, et élevée dans cette simplicité de la campagne que ceux-mêmes qui l’ont connue ne peuvent plus comprendre de souvenir, elle avait pris, sans compter, les jours et les ans, at-