Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/116

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La fièvre, en lui enlevant conscience de ce qui se passait autour de lui, n’avait diminué en rien la vigueur de ses biceps et, comme je n’avais pas « doubles muscles », ce ne fut qu’au prix de quelques horions que je réussis à l’amener à l’ombre d’un gros arbre et à le faire asseoir. Etant sur la rive du fleuve, je lui frictionnai longuement le visage avec un mouchoir mouillé que je lui appliquai ensuite en compresse sur le front. Au bout d’une demi-heure, il reprit ses sens et comprit la situation : « Merci, mon brave, me dit-il, je te dois une fière chandelle. » À ce moment, survint un chasseur, son ordonnance, que je mis au courant et qui me remplaça auprès de lui. Et comme à Ankatsaka, on attendait la viande, je m’éclipsai pour aller la toucher et la faire charger sur la pirogue.

Au retour, à un endroit où le courant du fleuve, très rapide, formait des tourbillons, la pirogue chavira en se heurtant à un radeau abandonné. La viande, fort heureusement, roula sur ce radeau, tandis que les deux rameurs et moi roulions dans l’eau. Il nous fallut plus de trois heures pour remettre la pirogue à flot et recharger la viande, tout en risquant plusieurs fois d’être emportés par le courant et les tourbillons. Enfin, nous reprîmes notre route, en longeant le bord, et nous pûmes quand même rentrer le soir au bivouac.

Le lendemain, on se dirigea sur Maroko, et ensuite sur Amparinampony. Les difficultés de la marche augmentaient à chaque étape ; nous n’avions à notre disposition que des mulets qui, à chaque instant, roulaient par terre avec leur chargement de canons et de bagages ; il fallait remonter tout, et chaque fois, on arrivait au bivouac éreinté et fourbu. Avec cela, le manque de vivres nous faisait tirer la langue ; la ration était réduite de moitié. Rarement on nous donnait la moitié d’un quart de vin. Le café et le sucre étaient totalement épuisés. Le nombre des malades augmentait chaque jour. De Marovoay, de mauvaises nouvelles nous parvenaient. On y enterrait journellement des camarades.